Le théâtre d’expression corse : quel rôle à l’aune du processus d’élaboration littéraire ?

Ange Pomonti

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Ange Pomonti, « Le théâtre d’expression corse : quel rôle à l’aune du processus d’élaboration littéraire ? », Plumas [En ligne], 5 | 2024, mis en ligne le 17 juin 2024, consulté le 22 août 2024. URL : https://plumas.occitanica.eu/1406

Le présent article s’intéresse au théâtre de langue corse en tant que genre littéraire d’apparition récente, et cela en dépit d’une théâtralité « culturelle » qui irrigua avec constance la société traditionnelle insulaire. À travers une perspective diachronique, nous nous proposons d’étudier ici les caractéristiques de ce théâtre, lequel oscilla au cours de sa phase « classique » entre théâtre de la diglossie (A.B. Lucciardi), comédies de mœurs à la portée souvent moins localiste qu’universelle (P. Lucciana), théâtre national embryonnaire (G. Notini) ou conquête de registres nouveaux (G.P. Lucciardi). Naturellement, non sans nous appuyer sur les techniques de la littérature comparée, nous nous intéresserons tout particulièrement aux évolutions les plus récentes de notre objet d’étude (impulsées historiquement par le mouvement de renaissance culturelle des années 1970 et 1980, « u Riacquistu »), ainsi qu’à leur adéquation éventuelle avec ce « présent littéraire mondial » que décrivait Pascale Casanova. In fine, et sans rien nier de ses difficultés institutionnelles et structurelles, nous nous efforcerons d’évaluer la contribution exacte de notre support théâtral – encore trop méconnue – au processus historique d’élaboration et de modernisation de la littérature corse. Un support qui, nous le verrons, tient davantage du miroir et peut-être même du fer de lance que du simple faire-valoir...

This article focuses on Corsican-language theater as a recent literary genre, despite the “cultural” theatricality that has always permeated traditional Corsican society. From a diachronic perspective, we propose to study the characteristics of this theater, which oscillated during its “classical” phase between theater of diglossia (A.B. Lucciardi), comedies of manners often less local than universal in scope (P. Lucciana), embryonic national theater (G. Notini) and the conquest of new registers (G.P. Lucciardi). Naturally, not without drawing on the techniques of comparative literature, we will be particularly interested in the most recent developments in our object of study (historically driven by the cultural renaissance movement of the 1970s and 1980s, “u Riacquistu”), as well as their possible relevance to the “global literary present” described by Pascale Casanova. Ultimately, and without denying its institutional and structural difficulties, we shall endeavor to evaluate the exact contribution of our theatrical medium - still too little known - to the historical process of elaboration and modernization of Corsican literature. A medium which, as we shall see, is more a mirror, and perhaps even a spearhead, than a mere foil...

Introduction

Au cours de son existence déjà bicentenaire, la littérature d’expression corse aura investi bien des supports pour construire et asseoir sa « littérarité » : poésie (dans le cadre des mouvements de « Primu Riacquistu »1 et de « Riacquistu »2), récit ethnographique (fleuron du « Mantenimentu »3), poésie destinée à être chantée (« Riacquistu »), nouvelle, roman… Ainsi qu’on le voit, le théâtre n’y figure pas, en dépit de certaines expériences récentes dont l’apport est reconnu par les études corses (nous pensons ici tout particulièrement à la compagnie « Teatru Paisanu », dont il sera question plus avant dans le présent article). En outre, on entend souvent parler d’absence de tradition théâtrale en Corse, et même d’absence de culture – théâtrale encore – du public insulaire. La question qui s’impose à nous tout naturellement est alors la suivante : quel peut bien être le poids réel du théâtre à l’aune du processus d’élaboration littéraire corse ? Est-il réellement le parent pauvre dudit processus, ou les choses sont-elles en réalité plus nuancées que cela ? On sait par ailleurs que la littérature, a fortiori minorisée, est un phénomène multidimensionnel qui transcende assez largement la seule réalité des textes (fût-elle évidemment prépondérante). C’est donc à travers une approche complexe et croisée, nécessairement plus englobante et pertinente, que nous nous proposons d’appréhender ici le phénomène « théâtre »...

Des approches diverses

Il est certain que si par « théâtre » nous entendons infrastructures, troupes chevronnées, institutions dramatiques ou encore critique organisée, soit une définition socio-institutionnelle, la situation du théâtre corse a de quoi laisser perplexe. On ne peut néanmoins mettre sous le boisseau l’existence de quatre compagnies professionnelles, intégralement corsophones (« Unità Teatrale », fondée en 1999 ; « Locu Teatrale », devenue professionnelle en 1999 ; « U Teatrinu », créée en 1989) ou davantage axées sur le multilinguisme (Théâtre Point, 1985), qui œuvrent sans relâche et déploient souvent des trésors d’inventivité pour faire vivre ce mode d’expression (pensons par exemple aux dispositifs de traduction que la réalité sociolinguistique du corse rend désormais indispensables). Sur le plan plus spécifiquement textuel, en-dehors du prolifique Vattelapesca4, on est frappé par l’exiguïté du répertoire, ainsi que par l’absence quasi-totale de « chefs-d’œuvre »5. Plus récemment, il faut signaler la baisse des crédits alloués par la Région à partir de 2011, tout comme l’interruption des programmes européens de coopération transfrontalière INTERREG6, qui sont autant de coups d’arrêt portés à la créativité théâtrale insulaire…

Pourtant, si l’on accepte de considérer la notion forcément connexe de « théâtralité », la réalité s’avère tout autre. Sujet de réflexion des avant-gardes modernes, la théâtralité est l’art de la représentation et plus encore de la mise en scène, englobant tout à la fois l’organisation de l’espace et la gestion physique des protagonistes humains (décor, objets, effets de lumière, déguisements, gestuelle, attitudes…). En cela, on peut affirmer sans risque de se tromper que la société corse traditionnelle se nourrissait abondamment de théâtralité, aussi bien à travers les traditions populaires que dans la vie quotidienne et prosaïque : contes racontés à la veillée (« fole »), joutes verbales poétiques (« chjama è rispondi »), chants ou danses funèbres (« voceru », « caracolu »), processions du Vendredi Saint (« granitula », « catenacciu »7), fêtes du Carnaval, « mauresques »8, Passions… Bien sûr, il serait vain de se livrer ici à l’examen minutieux de chacun de ces modes d’expression séculaires, liés étroitement à la cosmologie traditionnelle insulaire et par là même à l’anthropologie. Il n’en reste pas moins vrai que leurs caractéristiques répondent aux critères définitoires de notre support théâtral, notamment pour ce qui est de la gestuelle (éminemment démonstrative), du cri9, des interactions avec le public ou du caractère improvisé de certaines productions orales.

Qu’en est-il alors maintenant des formes de théâtre plus « académiques » ? Le 16e siècle, on le sait, est celui de la diffusion partout en Europe d’un théâtre populaire profane inspiré de la célèbre « commedia dell’arte » italienne. Or on ne peut que constater que ce théâtre, d’essence populaire et dialectale, c’est-à-dire en adéquation parfaite avec la condition même du corse, n’apparaît pas sur l’île. L’absence tout aussi flagrante d’un théâtre savant d’expression corse, lié aux élites sociales, nous étonnera en revanche beaucoup moins, étant entendu que la langue des classes dominantes est alors bien sûr l’italien. Pour Eugène Gherardi, l’inexistence du genre théâtral pourrait finalement être liée au poids de l’Église, qui aurait freiné la construction d’édifices et privilégié les formes sacrées. Au cours du 19e siècle, néanmoins, une culture théâtrale se fait jour à Ajaccio et surtout Bastia. Le théâtre bastiais, en effet, connaîtra une activité importante, accueillant régulièrement des troupes italiennes et françaises, lesquelles se produisaient librement dans les deux langues « hautes » de cette période de transition culturelle. L’opéra et surtout le vaudeville ne tarderont pas à se populariser, expliquant peut-être l’apparition et le succès à venir du théâtre en langue corse de Vattelapesca…

L’ancien théâtre de Bastia avant 1903, Carte postale, Corte, musée de la Corse

L’ancien théâtre de Bastia avant 1903, Carte postale, Corte, musée de la Corse

Naissance et développement d’un théâtre d’expression corse

Le théâtre d’expression corse voit le jour en 1821 sous la plume d’Anton Bastianu Lucciardi, surnommé affectueusement « prete Biasgiu » (« père Blaise ») dans sa région du Nebbiu pour sa vocation cléricale ratée. Celui-ci est l’auteur de Mamma sò [Je suis mère], comédie en un acte qu’il écrit et fait représenter en 1821 dans son village de Santu Petru di Tenda. Davantage qu’à l’analyse du contenu, intéressons-nous plutôt au choix spécifique du genre comique. Il s’agit là à dire vrai d’un authentique invariant de la littérature corse pionnière, dont le corpus historique se constitue autour des traits communs aux autres littératures issues de la diglossie : fréquentation des genres mineurs, veine burlesque, ancrage rural et sentiment plus ou moins latent d’autominoration. Les tercets burlesques de l’abbé Guglielmi, l’extrait poétique héroï-comique « U serinatu di Scappinu » [« La sérénade de Scapin »] de Salvatore Viale10, la poésie satirique « Viaghju in Ascu » [« Voyage à Asco »] d’Antoine-Léonard Massiani, les Poesie giocose [Poésies joyeuses] de l’évêque della Foata ou encore la paralittérature de colportage de la seconde moitié du 19e siècle11 en sont des exemples patents. Le corse, dialecte de l’italien, ne pouvait alors prétendre aux genres dits « nobles », et seule l’option comique était à même de lui garantir une existence au sein du champ littéraire… Fût-elle évidemment marginale. Quoi qu’il en soit, avec Lucciardi, le théâtre profane de langue corse est né.

Le père fondateur de ce théâtre, précisément, est sans nul doute Pierre Lucciana, dit « Vattelapesca », qui est aussi l’une des figures emblématiques de cette période de mise en chantier d’un capital écrit de langue corse, que Jean-Guy Talamoni nomme « Primu Riacquistu »12. On est tout d’abord frappé par le caractère prolifique de son œuvre théâtrale, aujourd’hui largement introuvable, qui réunirait entre quarante et cinquante « cummediole »... Soit un chiffre colossal au regard du corpus dramatique mais aussi littéraire de langue corse ! Parmi les pièces les plus connues de l’écrivain bastiais, il faut citer A civittola [La petite coquette], U matrimoniu di Fiffina [Le mariage de Joséphine], Un cungressu di e serve [Le congrès des servantes] et E curnachje [Les corneilles13]. S’il nous était demandé de caractériser le théâtre de Vattelapesca, nous dirions sans hésiter qu’il appartient à la catégorie des théâtres de mœurs. L’influence moliéresque y est clairement perceptible, notamment à travers les personnages, qui ne sont guère éloignés des types sociaux propres au théâtre classique : bourgeois arrogants, coquettes, jeunes maîtres épris, servantes, galants… Deux traits saillants de ce théâtre nous semblent être le moralisme léger et le rire. Tout comme Molière, Vattelapesca s’efforce de guider l’individu sur les chemins tortueux de l’existence, mais sans jamais renoncer à faire rire. En cela, il s’inscrit lui aussi dans la tradition du « castigat ridendo mores », devise illustre de la comédie classique que l’on doit au poète néolatin Jean de Santeul. Mais contrairement à della Foata, dont l’objectif principal – justifié par son statut de religieux – était de toute évidence l’édification du sujet humain, Vattelapesca ne cède jamais à la tentation de se transformer en professeur de morale. À l’instar de Molière, il met en scène des personnages ambigus, complexes et – osons le mot – universels, élargissant par là même considérablement la portée a priori localiste de son théâtre bastiais. L’exemple de la servante Serena (A civittola) est à ce titre significatif. Souhaitant s’élever au-dessus de sa condition sociale, à première vue de façon bien légitime, celle-ci n’hésite jamais à pervertir son innocente maîtresse, tandis que son mépris envers les bourgeois et les paysans révèle avant tout son désir d’intégrer elle-même la caste des nantis… Nous sommes donc loin, avec Vattelapesca, des prises de position simplistes liées à l’idéologie. Pour autant, on trouve bien chez notre dramaturge un fond de critique sociale, qui n’est pas sans originalité eu égard à l’époque très conservatrice dont nous parlons. Son œuvre met ainsi en discussion la suprématie sociale des bourgeois (« i sgiò » [les messieurs]), tout en interrogeant l’emprise du patriarcat traditionnel sur la femme. Sans aller jusqu’à parler de féminisme, on ne pourra s’empêcher d’y voir une forme de modernité. De la même façon, sur le plan spatial, la contextualisation urbaine des pièces de P. Lucciana contraste avec l’enracinement rural de toute la production littéraire pionnière. La campagne, ici, n’est plus qu’un espace de villégiature ponctuel (plus précisément estival) des classes privilégiées, et non le cœur battant d’une culture agropastorale que la littérature aurait vocation à illustrer éternellement. Penchons-nous enfin sur la langue de Vattelapesca, que certains commentateurs n’hésitèrent pas à qualifier de « dialectale », les conduisant finalement à relativiser la portée de son théâtre. Le grand poète Anton Francescu Filippini l’accusa ainsi de « scrive cum’ellu si parla » [d’écrire comme l’on parle], alors que l’anthologiste Hyacinthe Yvia-Croce lui reprocha de privilégier le babélisme à l’étymologie. En réalité, il nous semble que cette langue certes bariolée ne fait jamais que s’inscrire dans la logique de réalisme et d’identification de la comédie de mœurs, dont l’objectif n’est rien moins que de refléter les réalités sociales qu’elle dépeint. C’est bien ce que fit Molière dans Monsieur de Pourceaugnac (1669), où picard et languedocien dialoguent, dans un jeu plurilingue subtil faisant intervenir également le français. C’est aussi bien évidemment ce que fit Goldoni, éminent fondateur de la comédie italienne, qui recourait à son dialecte vénitien aussi spontanément qu’à l’italien standard. Les dialectalismes bastiais et autres italianismes de Vattelapesca correspondaient ainsi à une réalité (socio)linguistique attestée, celle des notables qui étaient partis étudier dans les universités de « Terraferma » et avaient reçu leur formation intellectuelle dans l’idiome de Dante. Pour autant, loin de n’être qu’un « auteur bastiais », P. Lucciana dépasse les limites de l’observation microsociale et finit par mettre en scène les travers de l’âme humaine, comme nous le confirme Jacques Thiers :

L’impressione saria piuttostu chì Vattelapesca si primureghja più di i funziunamenti di l’anima umana in generale è di cum’ellu pesa u cuntestu suciale nant’à l’attitudine è e persunalità.

[On a plutôt l’impression que Vattelapesca se préoccupe davantage du fonctionnement de l’âme humaine en général et de la façon dont pèse le contexte social sur les attitudes et les personnalités].

Il est assez courant de voir associer la figure de Pierre Lucciana à celle de Ghjannettu Notini, surnommé « U Sampetracciu ». Dramaturge mais également acteur du « Teatru di a Muvra », contemporain de Vattelapesca, Notini s’inscrit lui aussi dans le sillage du théâtre de mœurs, tout en revenant à la source villageoise et populaire de la culture corse. Indépendamment de la forme, nous sommes ici face à un théâtre national embryonnaire, « medium puissant assurant la diffusion de la langue tout comme certains traits du message politique de A Muvra » (Pietrera). Un tel objectif nous éloigne substantiellement du théâtre de mœurs classique, certes désireux de porter un regard critique sur les réalités sociales, mais pas au point d’agir sur le plan politique. Comme chez Vattelapesca, le rire est omniprésent chez Notini, mais sa signification diffère de façon sensible. En exagérant à peine, nous pourrions dire qu’il est ici une arme au service du combat politique, que mènent alors les « corsistes » (ou « muvristes ») gravitant autour de la revue A Muvra. Il ne s’agit plus seulement, donc, de divertir en se contentant de faire réfléchir de manière implicite. En toute logique, on retrouve chez Notini les thèmes classiques du « muvrisme » des années vingt : sentiment de supériorité et ignorance des Corses acculturés (« impinzutiti »), corruption électorale, clientélisme, attrait pour le fonctionnarisme, dévirilisation supposée des Corses, suprématie sociale des « sgiò »… On peut observer chez Notini une ressemblance et tout à la fois une dissonance à l’égard du théâtre de mœurs classique, car s’il met bel et bien en scène des types sociaux, il s’agit à l’évidence de types sociaux authentiquement corses. Avec un personnage emblématique : le Corse acculturé à la France et oublieux de sa « fougère » (allégorie des racines et de l’identité), qui revient au village pour imposer sa grandeur civilisationnelle supposée au microcosme… Peut-on considérer alors le « Teatru di a Muvra » comme un théâtre universel ? Sur le plan de la critique politique, on constate que les responsabilités des Corses quant à la situation de délitement culturel et moral de l’île (que celle-ci soit avérée ou supposée) ne sont en rien niées par ce théâtre. Il n’est donc pas impossible de voir dans cette approche une forme de maturité, qui nous éloigne tout de même quelque peu des modèles contemporains d’« agitprop »14. Pour autant, à l’inverse de Vattelapesca, Notini pose un regard selon nous sévère sur les figures d’acculturation, n’échappant pas à un certain moralisme, qu’il conviendra évidemment de relier à un objectif politique latent mais non moins réel, celui de réaffirmer et de faire valoir l’existence d’une nation corse à part entière. Les dénouements de certaines de ses pièces, parfois hautement improbables, semblent le démontrer. Dans Arcanghjula, la coquette acculturée finit ainsi par se marier avec le villageois vertueux Minichellu, sans que rien ne nous y ait véritablement préparés en amont… Que penser enfin du surnom de « Molière corse » attribué à Notini par la critique insulaire ? Bien sûr, nous n’ignorons rien du caractère itinérant de son théâtre, qui rencontra d’ailleurs un important succès populaire dans les villages et dans les foires. Pour autant, il faut relativiser les analogies de fond mais aussi de forme avec le théâtre de Jean-Baptiste Poquelin, que l’on invoqua peut-être aussi pour inscrire le « Teatru di a Muvra » dans un sillon prestigieux. De la même façon, en dépit du plaisir qu’il peut nous procurer ou de la qualité incontestable de sa langue, le théâtre de Notini nous semble nettement plus localiste qu’universel. À l’inverse, on l’aura compris, du théâtre de Vattelapesca. Dans le fond, cet état de choses s’explique assez facilement : l’un poursuit un objectif littéraire, l’autre poursuit un objectif littéraire mais aussi politique. L’un est soucieux de dire l’Homme, l’autre cherche avant tout à dire (déjà !) « l’omu corsu »…

Dumenicantone Versini dit « Maistrale » est un autre nom marquant de ce « Primu/Pre Riacquistu ». Connu avant tout comme poète, il fut aussi l’auteur de deux pièces de théâtre au propos symptomatique, L’appitittu di Calabraga [L’appétit de Calabraga, 1925] et A cumuna di Parapiglia [La commune de Branle-bas, 1926]. S’il s’agit là encore d’un théâtre engagé et comique, Versini fait le choix audacieux de la satire et du burlesque pour mieux carnavaliser son microcosme villageois. Et ce, chacun l’aura bien compris, pour mieux en dénoncer les travers. Les thèmes de Maistrale restent fondamentalement ceux du corsisme, en dépit des relations tempétueuses qu’il entretint avec nombre de dirigeants et collaborateurs de la revue A Muvra. On retrouve ainsi des thématiques telles que le favoritisme politique, la prépondérance sociale du « Clan » (« u Partitu »), la corruption des magistrats, l’assistanat du peuple, l’exil systémique des Corses… L’originalité de Maistrale vient alors peut-être finalement de sa langue, dont on apprécie la pureté, pour ne pas dire la « paysannité » (« a paisanità »), mais aussi sa capacité à exploiter les gallicismes et les italianismes au gré des situations sociales ou des besoins de la dramaturgie. Sans vouloir aller trop loin, on pourra certainement y voir un trait de modernité avant l’heure…

Portrait de Dumenicantone Versini dit « Maistrale » par Brod Emile (1882-1974), Ajaccio, Palais Fesch, musée des Beaux-Arts.

Portrait de Dumenicantone Versini dit « Maistrale » par Brod Emile (1882-1974), Ajaccio, Palais Fesch, musée des Beaux-Arts.

Clôturons ce premier tour d’horizon avec un dramaturge tout à fait essentiel du point de vue de l’historicité, à savoir Ghjuvan Petru Lucciardi, qui n’est autre que l’arrière-petit-fils de notre dramaturge fondateur Anton Bastianu Lucciardi. G.P. Lucciardi, auteur de deux comédies iconoclastes en 1909 [I galli rivali, A greva di e giuvanotte15], est surtout connu pour être le père du drame profane corse. Après A vindetta di Lilla [La vengeance de Lilla, 1911], il propose ainsi sa propre version de Maria Gentile, figure féminine héroïque de la Corse paolienne et thème historique bien connu dans la région du Nebbiu. Maria Gentile Guidoni, précisons-le, est considérée comme « l’Antigone corse », celle qui à l’aube de la conquête française brava l’interdit et donna une sépulture à son fiancé exécuté, avant de se livrer aux autorités et d’être graciée par le comte De Vaux. Si les analogies avec l’Antigone de Sophocle ne manquent pas, ne serait-ce que par la nature même de l’épisode, Lucciardi choisit délibérément d’éviter la tragédie en faisant évoluer la confrontation sanglante avec la France vers une réconciliation pure et simple basée sur l’admiration et la légitimité réciproques. Il est vrai que Lucciardi, à la fois corsiste et républicain convaincu, militant culturel et « hussard noir » de la IIIe République, symbolisa de façon éclatante la complexité idéologique de son temps (Gherardi, 2007). Lucciardi fut aussi le fondateur du drame sacré en langue corse, avec U Martiriu di Santa Divota [Le martyre de Sainte Dévote, 1912]. Si le genre du mystère remonte au Moyen Âge, l’originalité réside ici dans le fait d’utiliser le corse à un degré encore inédit de solennité et de sacralité, dernier avatar d’une élaboration littéraire qui bat désormais son plein. Utilisé pour dire les choses héroïques et même sacrées, qui plus est à travers le vecteur de l’écrit, le corse peut-il être encore considéré comme un dialecte de l’italien, ou pire, comme un banal « patois » de France ? Cette question-là, forcément sous-jacente dans l’esprit de Lucciardi, ne fait finalement que valider la pertinence de l’analyse de Pascale Casanova (1999, p. 56) :

La langue étant à la fois affaire d’État (langue nationale, donc objet de politique) et “matériau” littéraire, la concentration de ressources littéraires se produit nécessairement, au moins dans la phase de fondation, dans la clôture nationale : langue et littérature ont été utilisées l’une et l’autre comme fondements de la “raison politique”, l’une contribuant à ennoblir l’autre.

Actant une rupture historique avec le répertoire comique, le théâtre de Lucciardi aura donc participé et même contribué de façon décisive au processus éminemment politique de transformation du dialecte oral en langue littéraire écrite. De quoi réévaluer, déjà, l’importance de ce genre littéraire pourtant si souvent délaissé...

La césure 1945-1970

L’après 1945 marque le début d’une période de reflux que Fernand Ettori qualifia de « traversée du désert » (1979). L’amalgame (certes partiellement justifié) fait entre corsisme et irrédentisme, tant par la justice que par l’opinion publique, jette ainsi un discrédit durable sur l’ensemble du mouvement culturel. C’est précisément cette période que nous avons choisi de nommer « Mantenimentu », appellation extensive que l’on doit en réalité à J. Thiers, mais qui ne désignait à l’origine qu’un esprit d’écriture tourné vers la nostalgie et la survalorisation arcadique du paradigme agropastoral. Cette veine se généralisant au cours de la césure 1945-197016, il nous a semblé naturel de réserver la terminologie sus-citée à la période dont il est question ici. Ces années d’après-guerre coïncident en outre avec l’abandon des revendications linguistiques17, ainsi qu’avec le reflux d’une expression publique en langue corse qui n’était pourtant pas remise en cause. Malgré les conditions défavorables, un mouvement de préservation linguistique et culturelle verra le jour, se structurant autour de la nouvelle revue U Muntese dirigée par le laborieux Petru Ciavatti. La littérature de l’époque, bien que ne dédaignant pas la poésie, est dominée par une prose ethnographique, mémorielle et – pourrions-nous dire – thérapeutique, enracinée dans le souvenir d’enfance d’un petit groupe d’écrivains qui sont en réalité liés à la génération précédente. On retrouve ainsi, dans les récits d’Ignace Colombani, de Joseph-Marie Bonavita ou d’Antone Trojani, l’esprit de cette « oraliture » définie par Philippe Gardy (1987, p. 517). Selon Gardy, il s’agit en effet de recréer, via l’écrit, l’illusion d’un système oral que l’on ne peut s’empêcher de considérer comme supérieur du point de vue ontologique. Nous insistons bien sur cette idée d’illusion, dans la mesure où le modèle dont nous parlons n’existe déjà plus, ou presque, à l’époque où écrivent nos « mainteneurs ». Cela n’est pas un hasard, du reste, si Gardy qualifie l’oraliture de « leurre ». Malgré la poésie de certaines pages, la valeur documentaire précieuse de ces productions, sans oublier leur précellence linguistique, la littérature au sens où nous l’entendons (celui d’un art créatif) peine à émerger. Le théâtre, pour en revenir à lui, sera pratiquement ignoré par le « Mantenimentu ». Signalons au moins deux initiatives, celles de Peppu Flori et de Simon Dary, toujours dans le registre comique. Ce qui, soit dit en passant, aurait presque de quoi nous étonner, eu égard à l’angoisse culturelle afférente à l’époque ! Nous n’oublierons pas que l’option comique peut aussi être une conséquence indirecte du phénomène diglossique, défini par la hiérarchisation des langues en présence et leur « répartition fonctionnelle » (Ferguson) inéquitable. Quoi qu’il puisse en être, l’originalité du théâtre de Flori et de Dary vient précisément de l’utilisation comique que chacun d’eux fait des gallicismes, largement destinés à figurer l’opposition entre tradition corse et modernité française. Comme chez le romancier et fabuliste Natale Rocchiccioli, les jeux de mots interlinguistiques sont légion, reflétant avec truculence l’incompréhension mutuelle et soutenant la dramaturgie. Sans doute faut-il voir dans ce comique de mots une forme de prise en compte créative de la diglossie, ou de « fonctionnalisation » (Di Meglio, 2009), au détriment du purisme linguistique qui caractérise pourtant si bien la littérature du Maintien. Sur le plan littéraire, cette philosophie nous semble porteuse de créativité, fût-elle sous-tendue par une angoisse consubstantielle à l’air du temps.

Si l’on se hasarde à faire le bilan de toute cette période « classique » du théâtre corse, on note une surreprésentation du répertoire comique (comme conséquence de la diglossie), une certaine centralité du fait politique, mais aussi et surtout un fossé immense avec le théâtre moderniste et anti-réaliste qui triomphe au même moment en Europe. Le théâtre de la condition humaine de Vattelapesca, la naissance du drame, ou encore l’intégration du plurilinguisme au processus de création sont pourtant des jalons précieux dont nous aurions grand tort de minimiser la portée…

La naissance d’un théâtre corse moderne

De façon inattendue, eu égard aux vicissitudes spécifiques du support théâtral, les années soixante-dix voient émerger un théâtre corse que l’on pourrait aisément qualifier de « moderne ». Fondée en 1972 par Dumenicu Tognotti et Saveriu Valentini, la compagnie « Teatru Paisanu » s’inscrit dans le droit fil du théâtre de recherche européen, tout en poursuivant des objectifs politiques liés étroitement au combat nationaliste des années soixante-dix et quatre-vingts. Il va de soi que le retour au premier plan du théâtre s’explique aussi, très prosaïquement, par son pouvoir de diffusion. Fondamentalement, « Teatru Paisanu » se pose comme un théâtre politique, national, soucieux de conscientiser son public et finalement de peser de façon très factuelle sur les combats du présent. Pour autant, la dimension esthétique marquée de ce théâtre commande selon nous de parler de théâtre politique, certes, mais pas de théâtre de propagande ni même de théâtre militant. Sur le plan des influences (Hodencq, 2018), « Teatru Paisanu » s’inspire tout d’abord du « théâtre de la cruauté » d’Antonin Artaud. Théâtre métaphysique, soucieux d’embrasser et d’exprimer la complexité de la vie, le théâtre d’Artaud prend sa source dans l’idée fondamentale de rituel. Une approche qui le conduit par exemple à la minimisation de la parole, à une forme de violence visuelle et sonore, et surtout à l’idée d’un « spectacle total » prompt à exploiter tous les moyens à disposition : geste, cri, danse, pantomime, musique… L’autre source d’inspiration connue de « Teatru Paisanu » est bien sûr le « théâtre de la pauvreté » du dramaturge polonais Jerzy Grotowski, qui fut par ailleurs un collaborateur direct de Tognotti. De façon significative, étant lui-même un disciple d’Artaud, Grotowski s’inscrit dans le même sillon théâtral, entre complexité, questionnements métaphysiques et formes rituelles théâtralisées (indiennes et afro-caribéennes notamment). Parmi les spécificités de Grotowski, il faut évoquer l’importance du jeu d’acteur, qu’il pousse dans ses derniers retranchements dans l’espoir de retrouver l’essence organique perdue du théâtre, laquelle se définit selon lui par la relation fusionnelle entre acteur et spectateur. Comme chez Artaud, en revanche, la parole mais aussi les décors, les costumes ou les éclairages se voient relégués au second plan, au profit des corps et de leur énergie envoûtante. « Teatru Paisanu » se livre au même processus de ritualisation, destiné ici à faire émerger l’imaginaire enfoui, la mémoire, l’inconscient collectif et in fine l’identité corse véritable. Sur scène, Tognotti et Valentini représentent des archétypes culturels, liés généralement à un objectif « spéculaire » : l’incarnation par métaphore du peuple corse lui-même, transformé alors en acteur du processus se déroulant concomitamment sous ses yeux. Comme toujours en littérature, la forme et le fond se rejoignent. Le processus de ritualisation s’adosse à un langage poétique, aphoristique, litanique ou incantatoire, mais aussi au geste, à l’énergie corporelle (notamment par le biais de la danse) ou au chant. Soit ce « spectacle total », peut-être, dont parlait Artaud… La pièce la plus mythique de « Teatru Paisanu » est sans l’ombre d’un doute A rimigna [La mauvaise herbe], écrite en 1973 et jouée pour la première fois au cours de l’Université d’été de 197418. Celle-ci évoque un sujet historique et politique de tout premier plan, à savoir la révolte du Niolu, réprimée dans le sang en 1774 par le général Sionville. Ainsi que le simulacre de procès qui s’ensuivit (qui constitue la trame nodale de la pièce). On y retrouve les traditionnelles figures archétypales de « Teatru Paisanu », tantôt pour symboliser la résistance, tantôt pour métaphoriser à l’inverse l’oppression. Prophète annonciateur de mort au langage volontairement sibyllin, le « mazzeru » y acquiert une valeur emblématique, se voyant érigé au rang de porte-drapeau du peuple corse, voire en allégorie même de ce peuple, (re)conscientisé désormais. Dans les années quatre-vingts, les pièces A Cabbia [La cage] et Innò [Non] marquent une évolution vers une complexification de la parole poétique, ainsi qu’un reflux pur et simple du verbe. Par ailleurs, l’onirisme et le pessimisme relatif de ces deux pièces entraîne pour la première fois une forme de désaffection de la part du public insulaire. La pièce Prima tù [Toi d’abord] constitue une sorte d’acmé esthétique, la danse y prenant le pas sur la parole, l’engagement s’y effaçant (du moins en apparence) au profit de la quête métaphysique. Là encore, le public ne suivra pas. Pourtant, du point de vue strictement littéraire et esthétique, il est peu niable que « Teatru Paisanu » s’avère pleinement tributaire des conceptions avant-gardistes et postdramatiques de son époque, conçues pour appréhender au mieux les notions de crise, de complexité et de recherche du sens induit. En cela, le théâtre de D. Tognotti et S. Valentini aura acté une rupture forte sur le plan de l’historicité, apportant une pierre fondamentale à l’édifice de l’élaboration et de la modernisation du théâtre corse.

A rimigna [La mauvaise herbe], 1973

A rimigna [La mauvaise herbe], 1973

Malgré les aléas du temps, le « Riacquistu » n’oublie pas le théâtre comique, qu’il adapte au contraire à ses propres besoins. « A cumpagnia di l’Olmu », fondée en 1981 par Pierrot Michelangeli, mêle ainsi le comique corse traditionnel (farce paysanne, réparties cinglantes héritées de Grossu Minutu19, « macagna »20, bastiaise) à l’influence d’un Dario Fo et de la « commedia dell’arte ». L’absurdité des situations, la relative vulgarité du langage, mais aussi le déluge verbal ou l’exubérance mimique en sont des illustrations concrètes. Il en ressort un théâtre populaire et hybride, entre tradition, académisme (ici italien) et bien sûr préoccupations politico-culturelles. Ce théâtre connaîtra un beau succès populaire, du fait de sa simplicité, de son académisme assumé et de sa dimension pédagogique. Pour Marie-Jeanne Nicoli, ancienne figure de « Teatru Paisanu », le succès de « A Cumpagnia di l’Olmu » n’est pas sans lien avec le manque de culture théâtrale du public corse :

On jouait dans des chapiteaux devant mille ou deux-mille personnes [...] ; un succès souvent trompeur, mais à l’époque, la revendication politique était portée par le mouvement culturel. Nous étions persuadés de retrouver les racines d’un inconscient collectif corse, alors que nous étions beaucoup trop intellectuels. La “Cumpagnia di l’Olmu”, avec son travail sur la “commedia dell’arte”, était plus proche de l’imaginaire de la société21.

Les années quatre-vingt-dix ne feront que confirmer les progrès enregistrés durant le « Riacquistu ». Parmi les projets les plus ambitieux de la décennie, il faut évoquer la collaboration entre Rinatu Coti et la compagnie ajaccienne « Locu Teatrale », dirigée par Marianna Nativi et Mario Sépulcre. Théâtre de recherche sinon engagé, du moins identitaire, celui-ci marche dans les pas de l’emblématique « Teatru Paisanu », se nourrissant par effet induit de l’influence d’Artaud et de Grotowski. Fidèle aux orientations du théâtre postdramatique, ce théâtre est celui de l’éclatement des frontières spatio-temporelles et de la mise en exergue de la dimension tragique du sentiment d’(in)existence, fortement ressenti par des « impersonnages »22 (Sarrazac) en quête d’identité. Chez Coti, le processus d’exploration de l’Être épouse la forme onirique, irrationnelle et symbolique du voyage de l’âme, appréhendé là encore à l’aune du rituel. Au terme du voyage chaotique, qui est aussi celui de l’Homme, survient toujours l’« anagnorisis », moment critique de la révélation de Soi. Dans le théâtre de Coti, héritier et lui-même pilier du mouvement de « Riacquistu », la révélation du Vrai coïncide toujours avec la découverte des valeurs d’humanité et par là même de « corsitude » enfouies au plus profond de l’Être. Il faudra donc bien parler, là encore, de théâtre engagé. Mais aussi de théâtral total, le processus d’accès au Vrai croisant librement prose poétique, philosophie, chant (corse comme oriental), musique, geste, cri, danse… Le théâtre de Coti et de « Locu Teatrale » s’appuie en outre abondamment sur la force du langage symbolique, utilisé pour appréhender les lieux, les objets et les personnages. Dans U sonniu di Raffaedda [Le rêve de Raphaëlle, 1990], le personnage de l’estropiée figure ainsi la blessure identitaire, cependant que la figue de Barbarie illustre l’extrême difficulté de toute quête humaine. De la même façon, dans A stanza di u spichju [La salle des miroirs, 1999], le désert et la chambre au miroir éponyme sont les lieux de l’intériorité et de la méditation vers la conscience de soi. Dans Babbu Guidu [Le père Guidu, 1996], satire du pouvoir politique inspirée par Ubu roi d’Alfred Jarry, R. Coti consacre l’existence d’un théâtre corse de l’absurde, mais sans jamais renoncer à la profondeur de son langage poétique : la guérison du roitelet coïncidera en effet avec le retrait symbolique de l’aiguille (« l’acu »), métaphore de l’extraction du venin du pouvoir. Si l’importance du Coti dramaturge nous semble peu discutable, la nature exacte de son théâtre reste encore à définir. Bien que son aspect hybride et décousu le rapproche a priori du postmodernisme, nous l’avons dit, Coti ne renonce jamais à trouver une issue au problème qu’il se pose, à savoir – évidemment – celui de l’identité. Rappelons que le théâtre postmoderne, ou postdramatique, fut qualifié par Peter Szondi de « théâtre de la mort du drame ». Dans le théâtre de Coti, la notion de drame (entendue au sens de « trame ») ne disparaît pas, en ce que le problème soulevé initialement trouve toujours une issue. Pour Jean-Pierre Sarrazac, qui avance la théorie du théâtre « rhapsodique », la quête existentielle se caractérise par « le montage des formes, des tons, tout ce travail fragmentaire de déconstruction-reconstruction (découdre-recoudre) sur les formes théâtrales, parathéâtrales (dialogue philosophique, notamment) et extrathéâtrales (roman, nouvelle, essai, écriture épistolaire, journal, récit de vie…) » (1999, p. 198). La collaboration entre Coti et « Locu Teatrale » nous semble répondre à cette approche bigarrée, mais aussi croisée et interprétative, qui pousse le lector in fabula-spectateur responsabilisé à relier ce qui pourrait lui apparaître de prime abord comme décousu, retissant alors progressivement le sens induit… Il se distingue en cela de l’écrivain postmoderne, qui se rit littéralement de la monosémie et de l’obsession pour le sens, se rapprochant plutôt du rhapsode grec, artiste ambulant qui colportait et « (re)cousait » à sa guise les fragments poétiques qu’il entendait çà et là23. Finalement, et sans rien perdre de leurs spécificités, R. Coti comme D. Tognotti auront participé à leur niveau à la lame de fond qui bouleversa le genre théâtral tout au long du 20e siècle, quel que soit le nom (postdramatique, rhapsodique) qu’il faille précisément lui donner. Le degré d’élaboration de leur théâtre, cela va de soi, les érige en figures de proue de notre mouvement d’édification théâtrale mais aussi littéraire in extenso...

Le projet corso/sarde/sicilien « Odyssée », découlant de INTERREG 1, est l’un des évènements littéraires et culturels importants des années quatre-vingt-dix. Jacques Thiers, référent corsophone, participe ici à la construction d’un théâtre ouvertement plurilingue, prenant pour toile de fond l’imaginaire mythologique européen. Face à un plurilinguisme si débridé, le lecteur – averti ou non – pourrait certainement se poser la question de la catégorisation. S’agit-il encore ici de littérature corse ? Ne faudrait-il pas plutôt parler de « littérature plurilingue » ? Quoi qu’il en soit, la volonté d’ouverture est patente, tant sur le plan géographique que mental, en consonance avec la politique de décloisonnement menée par l’Université de Corse au sortir du « Riacquistu ». On le voit, le théâtre n’échappe pas à ce mouvement de remise en question identitaire, et y participe même activement.

Il ne fait guère de doute que le théâtre des années deux-mille et deux-mille-dix s’inscrit dans la même logique d’ouverture et de recomposition. Jacques Thiers, en collaboration avec l’historien italien Marco Cini et avec la troupe comique « U Teatrinu », s’impose là encore comme une figure incontournable. Notons que certaines de ses pièces sont des commandes liées aux programmes INTERREG II et III, à l’instar de Baruffe in Mariana [Querelles à Mariana] ou I quattru mori [Les quatre maures]. Qu’elles soient comiques ou non, ces pièces ont ceci de précieux qu’elles participent d’une relecture iconoclaste de la mémoire historique ou même littéraire (Ma chì Culomba ? [De quelle Colombe s’agit-il ?] 2004) de la Corse. On y retrouve les grands thèmes du J. Thiers sociolinguiste, en particulier la question emblématique de l’identité, ou plutôt de la « fable d’identité » (« a fola d’identità »). Le dramaturge s’en prend ainsi aux mythes, certes fondateurs, mais non moins périlleux pour l’individu en quête de sens (ou d’essence, dans le cas d’espèce). Il procède alors à la sécularisation audacieuse de Pascal Paoli (A scusa di Pasquale Paoli [L’excuse de Pascal Paoli] 2007), héros corse par excellence, interroge les effets négatifs du patriotisme belliqueux (L’omu di a machja o Dumane ferà ghjornu [L’homme du maquis ou Demain il fera jour] 2006 ; Tutti in Pontenovu [Tous à Ponte novu24 1999], dévoile au grand jour les querelles identitaires stériles de la société corse d’aujourd’hui (U ponte, 2006)… L’ambitieuse pièce I quattru mori, fruit du projet coopératif « Mores », croise ipséité et altérité de façon déconcertante, à travers la figure ambivalente du Corse renégat25. En faisant de l’Autre un double Soi, Thiers ébranle l’identité monolithique et adversative « traditionnelle », que les années soixante-dix avaient contribué (parfois malgré elles) à enraciner. Dans Ma chì Culomba ?, enfin, le dramaturge bastiais s’en prend au mériméisme et aux stéréotypes romantiques, qui eurent pour conséquence fâcheuse d’aboutir à la fabrication d’un « type corse », y compris chez les Corses eux-mêmes… Malgré ses aspects comiques, il est de fait que le théâtre de Thiers met en jeu des éléments de réflexion fondamentaux, s’articulant notamment autour de la critique des processus de mythification. Dominique Verdoni26, s’inspirant de Claude Lévi-Strauss et de Jan Assmann, oppose les sociétés qui intègrent le mythe mais le figent, à celles qui le transgressent de façon délibérée. La « mémoire froide » serait donc synonyme de mise à distance du mythe, notamment par le biais du rire, afin de guérir les blessures liées à l’Histoire et d’« exister culturellement » dans le monde complexe d’aujourd’hui. Chez Thiers, cette philosophie n’est pas sans conséquence sur la forme, le plurilinguisme (et avec lui le contact des cultures) se voyant érigé en mécanisme à part entière de l’économie dramaturgique. Le sociolinguiste de formation excelle d’ailleurs dans ce type d’exercice de style27, n’hésitant pas à confronter corse, français, français régional de Corse (« francorsu »), italien, anglais… Pour ce qui nous concerne, l’impression que nous procurent ces œuvres est bien celle d’une diglossie dépassée.

Fermons le ban en évoquant plus spécifiquement le théâtre comique, que l’on serait tenté de reléguer à un rôle subalterne. « U Teatrinu », succédant à « A cumpagnia di l’Olmu », reprend les ingrédients qui avaient fait le succès de la troupe dirigée par P. Michelangeli au cours des années soixante-dix et quatre-vingts : langue populaire, exubérance, accessibilité, académisme à finalité pédagogique, ludisme… Loin de se contenter de traduire les grandes pièces classiques, précisons-le, « U Teatrinu » les adapte – souvent finement – aux réalités de la Corse. Et comme chez Thiers, l’humour n’y est jamais antinomique avec la réflexion. À défaut d’élitisme, « U Teatrinu » aura su rencontrer son public, démontrant si besoin était que ce dernier existe bel et bien. Les pièces de Paul Desanti et Philippe Guerrini, jouées par la troupe non-professionnelle « I Stroncheghjetta », creusent peu ou prou le même sillon populaire, tout en développant des réflexions plus personnelles autour de l’inéludable question identitaire. Rappelant à certains égards le théâtre de J. Thiers, Desanti et Guerrini explorent l’identité des Corses à travers le prisme autocritique, promouvant une approche a priori paradoxale du phénomène fondée sur l’altérité et l’hybridité, non sans quelque arrière-pensée thérapeutique sous-jacente. Autorisons-nous à relayer ces extraits savoureux, tirés de la pièce éloquemment nommée Tranxène è metafisica (2002) :

Hybride, ùn sè ? […] Incù missiavu sbarcatu drittu drittu da a Sardegna, minnana nata in Tunisi è u to ziu chì struppiacceghja corsu è francesu, postu ch’eddu parla brittonu da a mani à a sera… Anc’assà ch’è tù ùn sè hybride tù !

[Hybride, tu ne l’es pas ? […] Avec ton grand-père tout droit débarqué de Sardaigne, ta grand-mère née à Tunis et ton oncle qui écorche corse et français, parce qu’il parle breton du matin au soir… Bien évidemment que tu es un hybride, toi !]

Cambiemu tutti i ghjorni di casacca, vultemu cappa, cambiemu partitu… In ’ssu sensi, puru critichenduli, semu un pocu no dinò com’è l’omini pulitichi

[On tourne casaque tous les jours, on retourne notre veste, on change de point de vue… Dans ce sens, et même en les critiquant, on est un peu nous aussi comme les hommes politiques]

L’idintità, o ghjenti !… […] C’emu da matriculà u ciarbeddu pà sta cusaredda ? Chì cumedia… Ùn viditi ch’edda cambia d’ora in ora, l’idintità ? Ùn viditi chì dumani ùn sareti ciò ch’è vo seti à mumenti ? Ùn viditi ch’è dopu dumani, à chì li piaci u tianu di fasgioli li piaciarà u sciuscì sgiappunesu, è ch’eddu sarà u stessu è mai u stessu, com’eddu dici quiddu ?

[L’identité, les amis !… […] On va se polluer l’esprit avec cette broutille ? Quelle absurdité… Vous ne voyez pas qu’elle change d’heure en heure, l’identité ? Vous ne voyez pas que demain vous ne serez pas ce que vous êtes en ce moment ? Vous ne voyez pas qu’après-demain, celui qui aime le ragoût de haricots aimera les sushis japonais, et qu’il sera à la fois le même et l’autre, comme on dit ?]

La filiation postmoderne d’un tel théâtre nous semble peu discutable. Les certitudes humaines autant que littéraires y sont en effet balayées, comme le démontre du reste fort bien l’utilisation récurrente de la métafiction28. En parallèle, les notions de rire et de jeu sont placées au cœur du projet porté par nos deux auteurs. En écho aux nouvelles de P. Desanti, l’humour se veut absurde et même carnavalesque. Le mélange des genres et des tonalités, trait emblématique de l’esprit postmoderne, est ici particulièrement détonnant. Ce théâtre réussit en effet la gageure de mêler farce, vulgarité, pornographie, mais aussi satire sociale, érudition, philosophie, poésie… Les changements de ton violents, survenant parfois à l’intérieur d’une même réplique, créent l’effet de contraste et suscitent immanquablement le rire. Les langues et les langages, enfin, s’enchevêtrent tout aussi joyeusement, suggérant plus que jamais l’idée d’une reconceptualisation de l’identité insulaire, tout en scellant de façon irrémédiable le surpassement du confinement diglossique. En dépit de sa couleur pittoresque, le théâtre de Desanti et Guerrini épouse donc les contours d’une philosophie contemporaine, celle du postmodernisme, exploitée à des fins créatives mais convoquée également pour sa capacité à refléter les impasses – à travers l’absence de sens – de la Corse contemporaine. Que de chemin parcouru !

Conclusion

Nous l’avons vu, exception faite de quelques rares projets, le théâtre « classique » corse était placé globalement sous le signe d’une diglossie non surmontée. Ses traits récurrents, sur lesquels nous ne reviendrons pas, étaient ceux des littératures et plus largement des cultures en proie à la minoration. Le point de bascule survint avec les années soixante-dix, qui virent converger les aspirations nationales du théâtre insulaire avec les grands bouleversements esthétiques (et notamment anti-réalistes) du théâtre européen. Il faut y voir selon nous la marque de l’« inghjennatura » (l’« engendrement »), axe programmatique majeur du « Riacquistu » théorisé dès le premier numéro de la revue Rigiru29 : « U pinseri sarà quellu di l’inghjennatura di l’opara. Si capisce chì l’Essezza nulla pruibisce è ferma sempre ancu à sbramà. L’idea maestra sarà d’esse in cunsunente cù u pensamentu di l’antichi ma di tene à mente chì oghje hè oghje » [Notre préoccupation sera l’engendrement de l’œuvre. Il faut comprendre que l’Être n’interdit rien et reste toujours à explorer. L’idée directrice sera d’être en consonance avec la pensée des anciens mais de garder à l’esprit qu’aujourd’hui, c’est aujourd’hui]. Dans cette quête de création et de modernité, certes prudemment subordonnée (époque oblige) au respect de la sacro-sainte Tradition, le théâtre joua un rôle central, peut-être plus encore que l’emblématique genre poétique, lui-même lié de façon charnelle à la chanson. Évidemment, notre réflexion porte fondamentalement sur la textualité, c’est-à-dire sur les contenus textuels et esthétiques, étant entendu que le succès populaire recueilli par ce théâtre de recherche adapté à la Corse fut parfois très inégal. Quoi qu’il en soit, cette rupture historique ouvrit la voie au développement du genre, qui aura pris depuis des directions multiples : exploration philosophique, comique ou absurde de la crise identitaire corse, relecture critique de l’Histoire à l’aune du présent, quête ou crise du sens, mélange et parodisation postmoderne des genres, plurilinguisme et multiculturalisme… En peu de mots, le théâtre contemporain n’est rien moins que le reflet éclatant de toutes les transformations récentes de l’écrit corse ! En cela, nonobstant sa fragilité institutionnelle et les difficultés qui sont historiquement les siennes, on ne pourra que conclure à l’importance de notre support théâtral, qui aura participé de façon sinon décisive du moins substantielle à la construction d’une littérature de langue corse...

1 Période d’élaboration effective de la littérarité du corse (1896-1945).

2 Mouvement culturel de « Réappropriation » se développant en Corse entre 1970 et 1990 environ, sorte de corollaire – esthétique et engagé – au

3 Période de flottement voire de reflux, postérieure à la Seconde Guerre mondiale, et préludant au renouveau des années soixante-dix.

4 Sobriquet de Pierre Lucciana, dramaturge bastiais et père fondateur du théâtre profane de langue corse.

5 Notion qu’il convient évidemment de relativiser en domaine minoré !

6 Débouchant sur de nombreux projets théâtraux, impulsés notamment par l’universitaire et écrivain originaire de Bastia Jacques Thiers.

7 Représentation cérémoniale du chemin de croix de Jésus-Christ extrêmement suivie à Sartène. « Catenacciu » signifie « porteur de chaînes ».

8 Représentations chorégraphiques des guerres médiévales entre chrétiens et musulmans.

9 Nous pensons ici au « scucculu », long cri aigu et modulé prononcé par les femmes vengeresses à l’occasion du vocero.

10 Premier texte littéraire corse imprimé et diffusé (1817).

11 Appelée également « littérature de l’almanach ».

12 Et que nous avons choisi d’appeler « Pre Riacquistu » dans nos travaux de thèse.

13 Le terme évoque en langue corse une personne médisante.

14 Le théâtre d’« agitprop » naît pendant la révolution russe, avant de se diffuser en Europe de l’Ouest au cours des années vingt et trente.

15 Les coqs rivaux, La grève des jeunes filles.

16 Alors que le mouvement culturel corse, au cours de la première moitié du 20e siècle, se partageait entre traditionalisme, mais aussi politique et

17 On pensera évidemment à loi Deixonne de 1951, qui exclut le corse dans l’indifférence générale.

18 « Les responsables de l' " université d'été " de Corte ne veulent plus écarter les conséquences politiques des revendications autonomistes » (

19 Personnage populaire et légendaire, contemporain de Pascal Paoli dont on le présente parfois comme le bouffon.

20 Le terme « macagna » désigne, à Bastia, une forme d’humour taquin plus ou moins bienveillant.

21 René Solis, 25 mai 1996, « Bastia, bastion de l’essor culturel corse », Libération.

22 Personnages inconstants, effacés et en quête d’eux-mêmes.

23 « Rhaptein », en grec ancien, signifie précisément « coudre ».

24 Tous à Ponte Novu (lieu où se déroulera la bataille décisive entre les troupes du roi de France et celles de P. Paoli).

25 La pièce situe son propos, précisons-le, à l’époque des razzias barbaresques en Méditerranée.

26 Quaterni teatrini, Albiana/CCU, 2007.

27 Nous renvoyons nos lecteurs au roman Septième ciel, largement plurilingue, que Thiers publie en 2009.

28 La métafiction évoque le phénomène de dévoilement des mécanismes fictionnels au lecteur connivent, impliquant la suspension volontaire de l’

29 Rigiru, n°1, juillet 1974.

casanova, Pascale, La République mondiale des lettres, Paris, Éditions du Seuil, 1999.

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1 Période d’élaboration effective de la littérarité du corse (1896-1945).

2 Mouvement culturel de « Réappropriation » se développant en Corse entre 1970 et 1990 environ, sorte de corollaire – esthétique et engagé – au nationalisme politique résurgent.

3 Période de flottement voire de reflux, postérieure à la Seconde Guerre mondiale, et préludant au renouveau des années soixante-dix.

4 Sobriquet de Pierre Lucciana, dramaturge bastiais et père fondateur du théâtre profane de langue corse.

5 Notion qu’il convient évidemment de relativiser en domaine minoré !

6 Débouchant sur de nombreux projets théâtraux, impulsés notamment par l’universitaire et écrivain originaire de Bastia Jacques Thiers.

7 Représentation cérémoniale du chemin de croix de Jésus-Christ extrêmement suivie à Sartène. « Catenacciu » signifie « porteur de chaînes ».

8 Représentations chorégraphiques des guerres médiévales entre chrétiens et musulmans.

9 Nous pensons ici au « scucculu », long cri aigu et modulé prononcé par les femmes vengeresses à l’occasion du vocero.

10 Premier texte littéraire corse imprimé et diffusé (1817).

11 Appelée également « littérature de l’almanach ».

12 Et que nous avons choisi d’appeler « Pre Riacquistu » dans nos travaux de thèse.

13 Le terme évoque en langue corse une personne médisante.

14 Le théâtre d’« agitprop » naît pendant la révolution russe, avant de se diffuser en Europe de l’Ouest au cours des années vingt et trente.

15 Les coqs rivaux, La grève des jeunes filles.

16 Alors que le mouvement culturel corse, au cours de la première moitié du 20e siècle, se partageait entre traditionalisme, mais aussi politique et quête de modernité.

17 On pensera évidemment à loi Deixonne de 1951, qui exclut le corse dans l’indifférence générale.

18 « Les responsables de l' " université d'été " de Corte ne veulent plus écarter les conséquences politiques des revendications autonomistes » (lemonde.fr). Disponible en ligne : https://www.lemonde.fr/archives/article/1974/07/15/les-responsables-de-l-universite-d-ete-de-corte-ne-veulent-plus-ecarter-les-consequences-politiques-des-revendications-autonomistes_2517780_1819218.html

19 Personnage populaire et légendaire, contemporain de Pascal Paoli dont on le présente parfois comme le bouffon.

20 Le terme « macagna » désigne, à Bastia, une forme d’humour taquin plus ou moins bienveillant.

21 René Solis, 25 mai 1996, « Bastia, bastion de l’essor culturel corse », Libération.

22 Personnages inconstants, effacés et en quête d’eux-mêmes.

23 « Rhaptein », en grec ancien, signifie précisément « coudre ».

24 Tous à Ponte Novu (lieu où se déroulera la bataille décisive entre les troupes du roi de France et celles de P. Paoli).

25 La pièce situe son propos, précisons-le, à l’époque des razzias barbaresques en Méditerranée.

26 Quaterni teatrini, Albiana/CCU, 2007.

27 Nous renvoyons nos lecteurs au roman Septième ciel, largement plurilingue, que Thiers publie en 2009.

28 La métafiction évoque le phénomène de dévoilement des mécanismes fictionnels au lecteur connivent, impliquant la suspension volontaire de l’illusion narrative. La littérature postmoderne, dans son projet global de remise en question ontologico-ludique de la notion de Vrai, utilise fréquemment cette ressource liée à la réflexivité.

29 Rigiru, n°1, juillet 1974.

L’ancien théâtre de Bastia avant 1903, Carte postale, Corte, musée de la Corse

Portrait de Dumenicantone Versini dit « Maistrale » par Brod Emile (1882-1974), Ajaccio, Palais Fesch, musée des Beaux-Arts.

A rimigna [La mauvaise herbe], 1973

Ange Pomonti

Professeur agrégé Langue et Culture Corses. Docteur de l'Université de Corse