Cette publication a été financièrement soutenue par l’Agence de subventions de l’Université Charles, projet numéro 227422, intitulé « Bernard Lesfargues et le mouvement occitan », réalisé à la Faculté des Lettres de l’Université Charles.
Éléments biographiques de base
Profil biographique
Bernard Lesfargues est né le 27 juillet 1924 à Bergerac (Dordogne). Il est l’un des principaux acteurs de la renaissance occitane après la Seconde Guerre mondiale. En 1945 il est co-fondateur de l’Institut d’études occitanes : il agit en faveur de la langue et la culture d’oc en tant que poète, traducteur, éditeur, pédagogue ou militant. Ses traductions de l’occitan, de l’espagnol et surtout du catalan ont eu une importance majeure. Il reçoit les plus hautes distinctions notamment pour sa contribution à la défense et la diffusion de la culture et la langue catalanes. La sélection la plus complète de sa poésie paraît en 2001 sous le titre La brasa e lo fuòc brandal. Il meurt le 23 février 2018 à Saint-Médard-de-Mussidan.
Bernard Lesfargues : vie et œuvre
Enfance
Bernard Lesfargues naît le 27 juillet 1924, fils d’un commerçant de bois et charbon. Il grandit à Bergerac et Église-Neuve d’Issac, un petit village du Bergeracois, et fréquente une école privée confessionnelle. Dans sa famille, il s’enracine simultanément dans les cultures occitane et française et apprend les deux langues. Plus tard, il déclarera avoir deux langues maternelles. Encouragé à la lecture par sa mère et sa grand-mère, il s’ouvre à la littérature qui deviendra une véritable passion pour le jeune garçon. Ses premiers essais littéraires datent de la même époque ; il publie ses premiers poèmes en 1942. Adolescent, il devient élève du petit séminaire et se destine tout d’abord à une carrière de prêtre catholique, une idée qu’il abandonne plus tard. C’est dans cette période (vers 1940/1941) qu’il découvre pour la première fois le catalan en feuilletant des numéros de La Revista de Catalunya à la bibliothèque municipale de Bergerac. La proximité du catalan avec son « patois » le fascine et l’aide à comprendre que l’occitan est, lui-aussi, une langue à part, et non pas seulement un dialecte du français.
Formation et enseignement
Après des études secondaires à Bergerac, une classe d’hypokhâgne (préparant au concours d’entrée à l’École normale supérieure) à Bordeaux, puis à Paris (classe de khâgne au Lycée Henri IV), il se dirige vers des études d’espagnol, menées dans la capitale jusqu’à l’agrégation (1954) préparée à l’Institut d’études ibériques et latino-américaines de la Sorbonne. Américaniste formé par Jacques Soustelle à l’École pratique des hautes études, il est diplômé, en la même année 1954, de sociologie américaine avec un mémoire sur Cabeza de Vaca. En tant que professeur agrégé, il enseigne ensuite l’espagnol à Lyon au lycée et en « classes préparatoires » pendant 31 ans. Il donne également dans le même lycée de Lyon des cours d’occitan ouverts au large public.
Engagement dans la renaissance d’oc
En 1945, le professeur d’espagnol Jean Camp incite Lesfargues à participer aux réunions des Amis de la langue d’Oc, un groupe affilié au Félibrige qui réunit à Paris des intellectuels occitans, dont Jean Mouzat, Henri Espieux, Robert Lafont, Max Rouquette, Bernard Manciet, Pierre-Louis Berthaud, Jean Lesaffre, Jean Bonafous. Dans le milieu parisien, Bernard Lesfargues, moqué parfois par ses camarades d’école pour son accent « de province », prend conscience de son identité occitane et devient un militant actif de l’Institut d’études occitanes (IEO), fondé dans l’immédiat après-guerre par la plupart des mêmes intellectuels ci-dessus (auxquels s’étaient joints Tristan Tzara, Jean Cassou, René Nelli, Camille Soula, Ismaël Girard) et qui se convertit rapidement en plateforme la plus importante de l’occitanisme moderne. C’est justement l’IEO qui donne les impulsions décisives pour orienter le mouvement occitan à l’ouverture culturelle et idéologique et qui œuvre dans les perspectives politique, scientifique autant qu’artistique.
Accompagné et aidé par son ami Robert Lafont, le jeune Bernard Lesfargues participe à des projets culturels comme la revue Les Cahiers du triton bleu (1946-1947) ou l’anthologie intitulée La jeune poésie occitane (1946). Il publie également ses recueils de poésie : Premiers poèmes (1945) et Cap de l’aiga (1952).
Sous l’influence du milieu intellectuel auquel il appartient, l’orientation politique de Bernard. Lesfargues, initialement proche de l’esprit maurrassien qui avait influencé une partie du Félibrige, vire progressivement vers une gauche du type fédéraliste, régionaliste et pacifiste. Dans cette perspective, la poésie de Lesfargues, surtout après les événements de 1968, reflète en parallèle sa conviction politique et la défense de l’occitan.
Éditeur
Le double choix idéologique de Bernard Lesfargues en faveur du fédéralisme et de l’occitanisme se traduira également par sa création, à Lyon en 1969, de la librairie Fédérop, puis en 1975 par la fondation de la maison éditoriale du même nom qu’il a dirigée jusqu’en 1999 (Bernadette Paringaux et Jean-Paul Blot ont repris le flambeau, qu’ils sont en train de transmettre à leur tour) et qui a publié plus de trois cents ouvrages. Il y avait d’ailleurs au sein de Fédérop une collection « Fédéroc ».
À la fin des années 1970, Bernard Lesfargues, Robert Lafont et Jean-Marie Auzias suscitent la fondation de la revue Jorn, au sein de laquelle se constitue une nouvelle génération d’écrivains, poètes et chercheurs occitans (Philippe Gardy, Jean-Paul Creissac, Roseline Roche, qui en était la directrice, Marie-Jeanne Verny, Joël Meffre, Jean-Yves Casanova…). Pour ce groupe de jeunes, Lesfargues représente souvent un ami et un père intellectuel qui les incite à la lecture et au travail de rédaction.
Ayant toute sa vie durant développé une curiosité et une passion pour ce texte monumental, il édite, bien plus tard, des Cahiers de Tirant lo blanc1, dont le numéro 1 est seul paru à ce jour2.
Traducteur
Lesfargues a toujours mené une intense activité de traducteur de prose et de poésie castillanes et catalanes. Il traduit surtout du catalan et de l’espagnol en français ; ses traductions de l’occitan en français, de l’espagnol en occitan ou du français en occitan sont moins nombreuses. Ses traductions paraissent sous la forme de livres ainsi qu’en revues.
Dès 1953, il reçoit d’emblée le très renommé Prix Halpérine-Kaminsky. En 1960, alors que l’Espagne est sous le joug franquiste, il devient le premier traducteur de littérature catalane en français.
Promoteur actif de la culture et de la littérature catalanes, il agit également en tant que rédacteur-coordinateur d’anthologies et toujours traducteur. Entre autres exemples, en 1960, il présente la poésie catalane contemporaine dans la revue Le Pont de l’Épée.
Sa fameuse traduction française (Gloire incertaine) de la version non-censurée (sic) du roman Incerta Glòria de Joan Sales voit le jour deux ans plus tard aux éditions Gallimard (Paris, coll. Du monde entier) et ouvre le chemin à la réputation mondiale de l’auteur ainsi que du roman ainsi traduit.
La liste est longue des écrivains qu’il a traduits, du catalan et de l’espagnol : Rafael Sánchez Mazas, Ildefonso-Manuel Gil, F. J. Sánchez Cantón, Elena Quiroga, Joan Sales, Juan Goytisolo, Mario Vargas Llosa, Mercè Rodoreda, Benito Pérez Galdós, Ramón J. Sender, Álvar Núñez Cabeza de Vaca, Jorge Luis Borges, Jesús FernándezSantos, Salvador Espriu, Eduardo Cuneo de Osorio, Jesús Moncada, Julian Ayesta, Camilo José Cela, Julio Llamazares, Quim Monzó, Pere Calders, Jaume Cabré, Joan Brossa, Jaume Melendres Inglés, Joan Salvat-Papasseit, etc.
Poète
Ses premières publications datent de 1945. Auteur de plusieurs recueils (dont le troisième reçoit en 1964 le prix Jaufre Rudel), il a récemment rassemblé une grande partie de ses poèmes dans La brasa e lo fuòc brandal / La braise et les flammes. Poësia (in)completa, 1945-2000 (Montpeyroux, Jorn, 2001, 248 p.).
Après son départ à la retraite en 1985, il revient dans sa région natale et s’installe dans une propriété d’Église-Neuve d’Issac qui avait appartenu à sa famille depuis des générations. Après plusieurs décennies dédiées plutôt à la traduction, la retraite le libère pour sa propre création : entre 2001 et 2018, il publie cinq volumes de poésie en occitan et en français.
Pendant les dernières années de sa vie, il reçoit les plus hautes distinctions, principalement catalanes, pour sa contribution à la défense et la diffusion de la culture et la langue catalanes : Creu Sant Jordi, Premi Pompeu Fabra et Premi Ramon Llull, pour n’en citer que quelques-uns.
En 2015, l’Institut Ramon Llull inaugure en son siège barcelonais une bibliothèque consacrée aux traductions de la littérature catalane aux langues étrangères et lui donne le nom de Bernard Lesfargues.
Jusqu’au moment où la maladie le contraint à arrêter ses activités au milieu des années 2010, Lesfargues continuera à multiplier les traductions pour divers éditeurs et figurera sur la scène culturelle locale ainsi que nationale et internationale.
Précédé par Félix Castan (1920-2001), Bernard Manciet (1923-2005), Robert Lafont (1923-2009) et Pierre Bec (1921-2014), Bernard Lesfargues meurt le 23 février 2018 à Saint-Médard-de-Mussidan (Dordogne) à l’âge de 93 ans, dernier représentant de sa génération littéraire.