Telaranha d’Enric Espieux (1923-1971). L’espèra de l’alba

Claire Torreilles

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Claire Torreilles, « Telaranha d’Enric Espieux (1923-1971). L’espèra de l’alba », Plumas [Online], 1 | 2021, Online since 06 September 2021, connection on 12 December 2024. URL : https://plumas.occitanica.eu/302

Henri Espieux, Telaranha ou l’attente de l’aube. De 1947 à 1949, Henri Espieux attend avec fébrilité la publication de son premier recueil Telaranha / Arantèle, aux éditions de l’IEO (coll. Messatges). Il fréquente à Paris les poètes occitans Bernard Lesfargues, Jean Mouzat, Bernard Manciet. Il correspond avec René Nelli, Max Rouquette et Félix Castan. Une correspondance s’engage, très riche, avec Robert Lafont au début de 1947. Plusieurs des treize poèmes constitutifs de Telaranha, et quelques autres lui sont envoyés. Ils sont envoyés et renvoyés, commentés, repris, oubliés et parfois perdus. Ces échanges donnent lieu à des publications intermédiaires (dans l’ase negre, Occitania). Ils sont surtout la marque d’une intense activité créatrice et critique où l’on voit se dessiner les perspectives des œuvres à venir. Nous nous bornerons à questionner l’entrée en poésie occitane de l’un de ses meilleurs représentants, Henri Espieux.

Enric Espieux, Telaranha o l’espèra de l’alba. De 1947 a 1949, Enric Espieux espèra amb febricitat la publicacion de Telaranha, son primièr recuèlh, a las edicions de l’IEO (coll. Messatges). Frequenta a París los poètas occitans Bernard Lesfargues, Joan Mozat, Bernard Manciet. Correspond amb Renat Nelli, Max Roqueta e Felix Castan. Una correspondéncia plan rica s’engatja amb Robèrt Lafont a la debuta de 1947. Espieux li manda una granda part dels tretze poèmas que constituisson Telaranha e qualques autres. Los tèxtes son mandats e remandats, comentats, represes, oblidats e de còps perduts. Aqueles escambis son l’escasença de publicacions intermediàrias (dans l’ase Negre, Occitania). Son de segur la marca d’una intensa activitat creatritz e critica ont se dessenhan las perspectivas de las òbras avenidoiras. Farem pas que de questionar aicí l’intrada en poesia occitana d’un de sos melhors representants, Enric Espieux.

Henri Espieux, Teleranha or Waiting for Dawn. From 1947 to 1949, Henri Espieux feverishly awaited the publication of his first collection of poems, Teleranha / Arantèle, in the Messatges Collection of Editions IEO. He spent time in Paris with Occitan poets Bernard Lesfargues, Jean Mouzat, Bernard Manciet. He corresponded with René Nelli, Max Rouquette, Félix Castan and especially with Robert Lafont, early in 1947. Many of the thirteen poems which make up Teleranha and others were sent to Lafont. They were sent and returned, commented on, revised, forgotten, and sometimes lost. These exchanges led to intermediary publications (in ase Negre and Occitania) and are the mark of intense creative and critical activity in which we see develop the perspective of future works. This article will discuss the arrival of one of the best Occitan poets, Henri Espieux, on the literary scene.

Pour intervenir au cours de la journée d’étude du 23 octobre 2014 : « Les manuscrits du poème » qui devait inaugurer un travail d’équipe sur la poésie occitane de 1930 à 1960, j’ai découvert au Cirdoc les manuscrits d’Henri Espieux (ceux catalogués par François Pic1, et ceux, plus récemment acquis, qu’avait légués la famille du poète décédé en 1971). La richesse et la complexité du fonds débordaient de beaucoup l’œuvre imprimée. Si je me se suis alors bornée à étudier lettres et manuscrits éclairant l’entrée en poésie d’Espieux, je n’allais pas tarder à m’intéresser à l’ensemble de l’œuvre que je m’attacherais à éditer quelques années plus tard2. Je reprends ici le texte de ma communication augmentée d’intertitres et de la traduction en français des citations en occitan.

Telaranha est le premier recueil d’Henri Espieux (1923-1971) édité par l’IEO dans la collection Messatges, le 15 juillet 1949 à Toulouse (tiré à cent exemplaires numérotés avec un dessin de Marcel Strohmenger). Cet ouvrage3 de 35 pages est composé de treize poèmes occitans avec la traduction française en regard. Il est le septième de la collection, créée par Ismaël Girard et la revue Oc, commencée en 19424, arrêtée de 1943 à 1945, reprise en 1946 avec deux recueils de Robert Lafont et Léon Cordes5. Deux années séparent Telaranha du sixième ouvrage de la collection paru en 1947, Poesias de Santillana6.

Prendre place dans la jeune collection Messatges est pour Espieux une entrée en poésie vivement désirée, à la fois participation à la renaissance littéraire de l’Institut et marque de reconnaissance de la part de ses aînés : Max Rouquette et René Nelli, comme de ses contemporains, en particulier Robert Lafont et Félix Castan.

L’ase negre et l’entrée en poésie occitane

Provençal, né à Toulon, Henri Espieux vit à Paris. Il y fréquente les Occitans du cercle des « Amis de la langue d’oc », Louis Berthaud, Jean Mouzat, Bernard Lesfargues dont il est le plus proche par l’âge, et surtout Jean Lesaffre qui a été pour lui « lo mai amistos di guides » [le plus amical des guides], comme il le dit dans les « Confessions7 » qu’il entreprend de rédiger sur son itinéraire d’occitaniste et dont nous n’avons conservé que des fragments. Adhérent de l’IEO, il entre, à la Libération et sans doute par l’entremise de Jean Cassou, au CNE (Comité national des écrivains) dont le journal Les Lettres Françaises devient, à partir du numéro 6, le véritable organe.

Sa correspondance avec Robert Lafont, conservée au CIRDOC, est riche de 531 lettres qui vont de 1947 à 19718. Nous nous scommes fondée pour éclairer les années de gestation et de publication de Telaranha sur un corpus d’une soixantaine de lettres, de 1947 à 1950. Nous avons également consulté les lettres écrites à Max Rouquette, de 1949 à 1950, soit vingt-deux lettres conservées à la Médiathèque Emile Zola de Montpellier9. Le fonds Espieux du CIRDOC contient également, pour la même période, deux lettres de Robert Lafont10 et de Max Rouquette11 recopiées par leur destinataire.

La première lettre à Robert Lafont, du 28 février 1947, est adressée avant tout au fondateur et directeur du journal l’ase negre qui a six mois d’existence12. Espieux se montre lecteur militant et avisé : « La lucha que tenetz a la testa de l’ase negre es un grand gaug per totei leis Occitans » [La lutte que vous menez à la tête de l’ase negre est un grand bonheur pour tous les Occitans]. Il a des idées sur la typographie, la place de la publicité et propose son concours. Il est enchanté de voir son nom dans le compte rendu sténographié de la dernière assemblée générale de l’IEO « Foguere estabosit de me veser au nombre dei colauraires dau centre dei Relacions Forestieras. Es un onor qu’es pas de dire… » [J’ai été très étonné de me voir au nombre des membres des Relations Étrangères. C’est un indicible honneur …], et bientôt en effet son adresse va figurer dans l’organigramme de l’IEO comme celle du « Centre de Paris »13. C’est aussi au poète Robert Lafont qu’il s’adresse, à l’auteur de Paraulas au vielh silenci et co-auteur de la toute récente Anthologie éditée par le Triton bleu14, livre important et précieux à ses yeux. Dans la même lettre Espieux rappelle son attachement à la graphie alibertine, tout en regrettant qu’il n’y ait pas de grammaire « segon lei dialectes provençaus » [selon les dialectes provençaux]. Enfin, en post scriptum, il ajoute : « Vos mandi dos pichots poemas de ieu. Es Lesaffre que m’i a engatjat » [Je vous envoie deux petits poèmes de moi. C’est Lesaffre qui m’y a engagé]. Par chance, ces poèmes annoncés (ils sont trois en réalité) : « Lo vent que s’enarca », « Romius d’amor », « La votz pura » sont présents dans le dossier de correspondance constitué par Robert Lafont.

Premières poésies (titre 1)

Premières poésies (titre 1)

Trois poèmes insérés dans la première lettre d’HE à RL du 28/02/1947

Archives Robert Lafont, CIRDOC – Institut occitan de cultura

« Lo vent que s’enarca »

« Lo vent que s’enarca »

L’ase negre, avril 1947

Cette première lettre donne sinon le ton – la légère gêne du premier contact laissera vite place à une spontanéité amicale – du moins les thèmes d’une correspondance où les préoccupations militantes et organisationnelles (développer les abonnés du journal, les adhésions à l’IEO, adopter telle ou telle stratégie…) occupent autant de place que les échanges sur la création poétique, les chemins de la nouvelle littérature occitane, les œuvres en cours et, de façon récurrente, les questions de langue et de graphie. Nous le disons en manière d’avertissement, parce que l’accent mis sur la réflexion poétique ne permet pas d’évoquer la très intense activité de construction culturelle commune dans laquelle tous sont engagés, Lafont, Castan, Rouquette, Lesfargues, Espieux, dans le temps même où ils font œuvre personnelle.

Le premier des trois poèmes, « Lo vent que s’enarca », sera aussitôt publié par Robert Lafont dans l’ase negre n° 8 d’avril 1947 où Espieux signe également un article sur le film de Georges Rouquier Farrebique. Le manuscrit présente deux corrections. La première est d’Espieux qui remplace « caps » par « caus », forme de provençal maritime. La seconde est de Robert Lafont qui remplace « estalas » par « estelas », forme de provençal rhodanien. À ces deux corrections la version imprimée ajoute deux autres : l’accord fait au participe passé « sachuts » et la suppression des majuscules de début de vers. La ponctuation comprend quelques incohérences qui incombent à la fois à l’auteur (virgule après « ceu » et point après « auceus ») et à l’éditeur (point final). Le poème ne fera pas partie du recueil Telaranha, mais la thématique est en place : mouvement du vent sur la mer, promontoires battus des vagues, eau noire et mise en scène du moi dans le paysage tourmenté et déchiré jusqu’au ciel « ma vela / se creba eis estelas » [ma voile / se crève jusqu’aux étoiles]. Certes, rien de ponsien dans ces premiers vers publiés. C’est plutôt Verlaine que l’on entend avec l’eau noire qui pleure du ciel. Plus d’un lecteur en restera à cette première impression de la poésie d’Espieux.

Le poème est précédé d’un chapeau en italiques : « Après los joves poetas, ja coneguts, de Provença, l’ase negre es urós de presentar a sos legeires un jove poeta encara inedich, Enric Espieux » [Après les jeunes poètes, déjà connus, de Provence, l’ase negre est heureux de présenter à ses lecteurs un jeune poète encore inédit, Henri Espieux], lequel justifie la place du poème dans la rubrique « Poesia d’en Provença » [Poésie de Provence]. Sous ce titre sont cités un ou plusieurs poèmes disposés au centre de la page, comme l’étaient en janvier 1947 (n° 6) deux poèmes de Max-Felip Delavouet et de Charles Galtier, en référence à l’article de fond de Charles Camproux : « La poesia provençala d’ara » sur les poètes de l’école de Marsyas et Sully-André Peyre. Voici Espieux accroché à un mouvement auquel il refuse d’appartenir, bien que la personnalité et la poésie de Peyre ne lui aient pas été indifférentes, comme il apparaît dans ses « Confessions ». Il reste la provençalité que non seulement il ne récuse pas mais qu’il revendique et sous le signe de laquelle il placera Telaranha, comme nous le verrons.

Genèse de Telaranha

C’est dans une lettre du 13 septembre 1947 qu’Espieux commence à parler de Telaranha à Robert Lafont en lui renvoyant la pièce de théâtre La Cabana dont ils se sont longuement entretenus dans les lettres précédentes :

Te mande un vintenau de poemas que i dise Telaranha, amb La Cabana. Ai la materia d’un segond recuelh que i dise Lo bels Narcissus en la fon (cf. Bernard de Ventadorn) mai lo mande a Roqueta. Lettre d’HE à RL du 13 novembre 1947.

[Je t’envoie une vingtaine de poème que j’appelle Arantèle, avec La Cabane. J’ai la matière d’un second recueil que j’appelle Le beau Narcisse à la fontaine (cf. Bernard de Ventadorn) mais je l’envoie à Rouquette].

Cette annonce d’un recueil existant est couplée avec celle d’un autre devant être envoyé à Max Rouquette. Espieux est coutumier de la mise en parallèle, en rivalité poétique en quelque sorte, de deux des gloires de son panthéon. Il est certain qu’il a « de la matière », écrivant d’abondance, à ce moment-là et pendant toute sa vie. Mais il est moins certain qu’il enverra à Rouquette ce recueil dont il lui parlera aussi beaucoup.

Cette annonce est précédée cinq jours plus tôt d’une belle lettre de confidence poétique. Le 8 septembre, il répondait à Lafont sur l’envoi de deux poèmes : « Lo rei malaut » et « Solèus verds », en lui envoyant à son tour deux poèmes : « Toradas », dédié à Lesfargues et « De negra nuech », dédié à Lafont lui-même. Il lui disait le bonheur d’avoir été « initié à la gestation » de « Solèus verds » et entreprenait de lui révéler, autant qu’il était possible, son analyse de la boîte noire15 de « Toradas » :

TORADAS

A Bernard A Lesfargues
Les péninsules démarrées…
(Rimbaud)

Mai lis aucelums cabussats ?

Ges d’aubres an viscut mai amont.
Ai ! Roca crusa que badalha
E revoluna e se gangassa
Coma una qu’es mau derrabada…
Una ersa freja, ralh de peira,
E li puegs, nascuts de fatorgas,
Ebris de nivas, blaus de gloria.

Oc-ben, lis aucelums sont morts !
Mai l’ala di serres trantalha,
L’estec di causas caravira,
L’enlusiment petrificat
Rebala si ponchas crudelas,
E dins lo ceu nus coma lausa
Li testaus desencadenats
Destimborlats de vogar sema
Is esposcadas d’orizont
Se van prefondar au soleu.

[PÉNINSULES

Mais les oiseaux précipités ?

Aucun arbre n’a vécu plus haut
Ah ! Roche crue qui baille
Tourbillonne et se secoue
Comme peinant à s’arracher…
Une vague froide, jet de pierre,
Et les montagnes filles des fées,
Ivres de nuages, bleues de gloire.
Oui, les oiseaux sont morts !
Mais l’aile des monts vacille,
Les formes sont illusoires
L’éblouissement pétrifié
Entraîne ses pointes cruelles
Dans le ciel nu comme schiste
Et les promontoires démarrés
Effarés de voguer ensemble
Dans les remous de l’horizon
Vont s’enfoncer dans le soleil].

On remarque le passage de la graphie lei / dei à li / di, qui dans la correspondance a lieu en août 194716. Ce texte développe les images marines et minérales du poème « Lo vent que s’enarca » mais avec une ampleur formelle (trois strophes de longueur croissante) et une orchestration puissante qui opère une véritable métamorphose des éléments : pétrification de la vague et envol des promontoires en allés dans le soleil. Espieux donne quelques clés géographiques et poétiques.

Puei qu’i siàm, escusa me de te mostrar lo biais qu’emplegueri per fargar lo poema « Toradas », dedicat a Lesfargas, amb per epigrafia [p. 3 ro] un troç de Rimbaud (les péninsules démarrées). Legissieu dins lo darrier n° de Quaserns dau Triton blau lo poema de Lesfargas sus lis auceus… M’agradava… Mai un vers m’era en odi, non per la forma, mai per l’idea : « L’unique oiseau qui vit toujours ».
Lo promier vers de mon poema era fach (es una mena de parlar, qu’aqueu vers l’ai tornat limar quatre ou cinq cops). Lo veici :
« Mai lis aucelums cabussats ? »
E puei li causas s’engimbreron ansin. « Auceu » a congrelhat « autura », puei « aubre », un mond lunar privat de vida, fach de rocas esterlas coma li nauts testaus dis alentorns de Tolón (pensi sobretot au Codón, coneisses ?) Mai aqueu mond es coma una brofoniá muda e subran jalada… Alara lo vers de
[p. 3 vo] Rimbaud m’es vengut trevar. S’aquelis ersas de peira anavan « démarrer » emai eli ? Tant leu pensat, tant leu escrich. Lis auceus son morts, mai li puegs an tremolat, an pres son vou, per anar, emai eli, cabussar. Cabussar onte ? Dins lo soleu. Cf Banville
« Et le clown éperdu d’amour
Alla rouler dans les étoiles ».
Non sai se la resulta t’agradarà. L’esperi, mai tant de causas son restadas non expremidas. Lo darrier vers subretot me sembla inacabat.
[…]
[p. 4 recto] Nelli, i perdone força per aver escrich la plus bela ilustracion d’un tema que me treva totjorn, li caps, li testaus (« caps qu’ai sachuts, ralhs de peira, ponchas crudelas, espatlas dau baus » etc…) Vole parlar de
« Coma un taur eternal, la serra
Espera encara, cap beissat… »
17
Avent legit aquò, ai perdut tot esper de mielhs expremir aquelis esperóns de Provença que, quant de cops, me sieu chalat a regardar fin au lassitge, fin qu’au bomir, sens m’en poder destacar. Aqueli puegs son ma vida. La mar, lo ceu, d’acordi, non podi m’en passar. Mai quora lis ai, son coma un aire que m’agolopa. Per li tastar, fau que m’aluenche. Mai [p. 4 verso] aquelis ersas de peire son una presencia, una insulta au ceu, una arpa, e i a tant d’espandida dins son moviment, tant de vanc, amb un biais crudel e indiferent. Ventor, Santa Victoria, Codón subretot, tanben li colas de Marsilha-Veire. I podieu escalar mai aquò me semblava enebit, sacrilege, entre que lo Farón boniás e la Santa-Bauma pietadosa se laissavan caucar sens colera.
Lettre d’HE à RL du 8 septembre 1947.

[Puisqu’on en est là, laisse-moi te montrer la façon dont j’ai composé le poème « Toradas » dédié à Lesfargues, avec en épigraphie une citation de Rimbaud : « les péninsules démarrées ». Je lisais dans le dernier numéro des Cahiers du Triton Bleu le poème de Lesfargues sur les oiseaux. Il me plaisait … mais un vers me déplaisait, non pour la forme mais pour l’idée : « l’unique oiseau qui vit toujours ».
Le premier vers de mon poème était fait. Façon de parler parce que ce vers je l’ai limé quatre ou cinq fois. Le voici :
« Mais les oiseaux précipités ? »
Et puis les choses se sont ainsi enchaînées : « oiseau » a fait naître « hauteur » puis « arbre » ; un monde lunaire privé de vie, fait de roches stériles comme les hauts promontoires des alentours de Toulon. Je pense surtout au Coudon, tu connais ? Mais ce monde est comme une tempête muette et soudain gelée. Alors le vers de Rimbaud est venu me hanter. Si ces vagues de pierre allaient, elles aussi, « démarrer » ? Aussitôt pensé, aussitôt écrit. Les oiseaux sont morts mais les monts ont tremblé, ils ont pris leur vol pour aller, eux aussi, s’engloutir. Plonger où ? dans le soleil
Cf Banville :
« Et le clown éperdu d’amour
Alla rouler dans les étoiles ».
Je ne sais pas si le résultat te plaira, mais tant de choses sont restées inexprimées. Le dernier vers, surtout, me semble inachevé.
[…]
Nelli, je lui pardonne beaucoup pour avoir écrit la plus belle illustration d’un thème qui me hante toujours, les caps, les promontoires (« caps que j’ai connus, jets de pierre, pointes cruelles, épaules du rocher ») Je veux parler de
« Comme un taureau éternel, la montagne
Attend encore, tête baissée. »
Après avoir lu cela, j’ai perdu tout espoir de mieux exprimer ces éperons de Provence que, combien de fois, je me suis délecté de regarder jusqu’à épuisement, jusqu’à l’écœurement, sans pouvoir m’en détacher. Ces montagnes sont ma vie. La mer, le ciel, d’accord, je ne peux pas m’en passer. Mais quand je les ai, ils sont comme un air qui m’enveloppe. Pour les goûter, il faut que je m’éloigne. Mais ces vagues de pierre sont une présence, une insulte au ciel, une griffe, et il y a tant d’espace dans leur mouvement, tant d’élan, avec un air cruel et indifférent. Le Ventoux, la Sainte-Victoire, le Coudon surtout et les collines de Marseilleveyre, je pouvais y grimper, mais cela me semblait interdit, sacrilège, tandis que le brave Faron et la gentille Sainte-Baume se laissaient fouler sans colère].

Le poème naît de la relation privilégiée à un lieu, considéré comme sacré : la chaîne des monts toulonnais et en particulier le Coudon, décrits comme un monde stérile, lunaire, privé de vie mais exerçant sur l’auteur une fascination ancienne et de la présence intime d’une parole poétique venue de divers horizons, à diverses époques, en occitan et en français (Lesfargues, Banville, Rimbaud, Nelli). Le mouvement rhétorique de réponse à un vers en français de Lesfargues paraît tout aussi déterminant dans la genèse du poème que l’image venue de Rimbaud et qui traverse les strophes 2 et 3, depuis « coma una qu’es mau derrabada » jusqu’à « li testaus desencadenats » qui traduit exactement « les péninsules démarrées ». Dans la référence à Nelli on peut lire, outre l’image forte du taureau pétrifié prêt à charger, l’atmosphère magique qui baigne le poème d’où l’image est tirée et que Philippe Gardy analyse comme « une plongée au plus ancien et, donc, au plus réel du monde, à la fois humain et cosmique, à la croisée des espaces et des temps18. »

Un manuscrit voyageur

Telaranha a tout de suite trouvé son titre mais le manuscrit mettra quelque temps à trouver sa forme définitive. Il va voyager. Il est d’abord envoyé à Félix Castan, directeur de la revue Oc, occupé notamment à préparer l’acte fondateur de la renaissance littéraire de l’Institut avec le numéro spécial de 1946-47-48 (n°169)19.

Castan écrit à Lafont, le 22 novembre 194720 :  

Los poemas d’Espieux son fort prometeires : ço que lor mancariá es un bocin mai de construccion, d’arquitectura e d’atmosfer. Trop de polits detalhs, me sembla. [f°594 v°]

[Les poèmes d’Espieux sont fort prometteurs : ce qui leur manquerait c’est un peu plus de construction, d’architecture et d’atmosphère. Trop de jolis détails, me semble-t-il].

Espieux, de son côté, demande à Lafont de l’aider à « faire le tri » :

Me parles de Telaranha. Crese que i a pron de causas qu’an d’estre mandadas au fuoc. Se voles ajuda me a li destriar21. Lettre d’HE à RL du 27 oct. 1947.

[Tu me parles de Telaranha. Je crois qu’il y a beaucoup de choses qui doivent aller au feu. Si tu veux, aide-moi à faire le tri].

Et plus tard, l’avis circonstancié de Lafont ayant été donné, il revient plus volontiers sur le sujet :

Ame ton biais de t’exprimir subre-tot quora me parles de Telaranha (lo titol agrada a Roqueta) e de mi poemas. Ame tanben la critica que ne fas. En gros, sieu d’acordi ambe tu e tis entresinhes me saran precios, ne sauprai profichar.

[J’aime ta façon de t’exprimer, surtout quand tu me parles de Telaranha (Le titre plaît à Rouquette) et de mes poèmes. J’aime aussi la critique que tu en fais. En gros, je suis d’accord avec toi et tes conseils me seront précieux, je saurai en profiter.]

et encore :

M’agradaria de repréner pan per pan ambe tu cadun de mi poemas vists segón ti criticas, mai lis ai pas sot la man e es bensai pas la pena. Ma maja gaug es que « Aliscamps » t’ague pas trop deçauput. Per quant au « saut en davant luenh de Peyre », bensai qu’as rason mai i siàm pancara. Es de verai que l’influència de Peyre sus me es estada quasi nulla, estent que l’ai pas legit que dins l’Antologia de Nelli (gramaci per tis entresinhes) ont m’aviá deçauput, ai de lo dire.
M’es meravilha de veire coma as sachut trobar qu’au mieu lis imatges (dirai lo mot, lo Vèrb) eran pre-existents au ritme. I a de cops ont ai capitat, d’autres non.
Lettre d’HE à RL du 7 nov. 1947.

[Cela me plairait de reprendre point par point avec toi chacun de mes poèmes vus selon tes critiques, mais je ne les ai pas sous la main et ce n’est peut-être pas la peine. Ma plus grande joie est que « Aliscamps » ne t’ait pas trop déçu. Pour ce qui est du « saut loin en avant de Peyre », peut-être que tu as raison, mais nous n’y sommes pas encore. Il est vrai que l’influence de Peyre sur moi a été quasi nulle, étant donné que je ne l’ai lu que dans l’Anthologie de Nelli (merci pour tes conseils) où il m’avait déçu, je dois le dire.
C’est merveille de voir comme tu as su trouver que chez moi les images (je dirai le Verbe) préexistaient au rythme. Parfois j’ai réussi, parfois non.]

L’écho de la réaction de Castan est donné par Espieux dans une lettre que l’on peut dater de la fin 1947 :

Oc, Castan me’n a parlat de Telaranha. Me manda de flors, mens que tu, e me reprocha unis expressions « mesas a la moda per nostres ainats immediats dins la rega de Pons e que vendràn leu banalas atal coma una punta de preciosetat ». Ajusta : « d’alhors es un reprochi general que cal far a tota nostra poesia actuala e tu justament as l’aire de t’adralhar cap a mai d’originalitat… »
[…] Castan a remandat Telaranha a Lagarda. M’en vole de non en aver fach un doble perque Roqueta lis espera. Enfin ai escrich a Lagarda de lis envejar
22 a Roqueta (Max). Lettre d’HE à RL s.d. (fin 1947).

[Oui, Castan m’a parlé de Telaranha. Il m’envoie des fleurs, moins que toi, et il me reproche certaines expressions « mises à la mode par nos aînés immédiats dans le sillage de Pons et qui deviendront bientôt banales comme une pointe de préciosité ». Il ajoute : « d’ailleurs c’est un reproche général qu’il faut faire à toute notre poésie actuelle et toi, justement, tu as l’air de te diriger vers plus d’originalité… »
[…] Castan a envoyé Telaranha à Lagarde. Je m’en veux de ne pas en avoir fait un double parce que Rouquette les attend. Enfin, j’ai écrit à Lagarde de les envoyer à Rouquette (Max).]

Dans toute la période qui précède l’édition du recueil, de septembre 1947 à août 1949, une des difficultés sera l’absence de double du manuscrit. Une fois qu’il les a envoyés à Castan, Espieux n’a plus ses poèmes ou il n’en a plus la ou les versions corrigées. Il se reproche de ne pas avoir fait de copie. Il est très désireux de les faire envoyer à Rouquette, malgré l’agacement souvent exprimé par ailleurs de Castan qui rappelle que si Rouquette est secrétaire général, c’est lui qui a été nommé directeur des publications de l’IEO :

Roqueta a la pretencion que podi pas admetre de se far comunicar de textes abans estampatge. Sa critica aprep, basta, mas cada responsable sus la basa definida per las amassadas generalas de la « politica » de l’Institut deu èsser mestre de sas iniciativas sens contrarotle prealable. Lettre de FC à RL du 25 août 1949, Cirdoc 606.

[Rouquette a la prétention que je ne peux admettre de se faire communiquer des textes avant impression. Sa critique d’accord, mais chaque responsable, sur la base définie par les assemblées générales de la « politique » de l’Institut, doit être maître de ses initiatives sans contrôle préalable.]

Certains poèmes circulent encore cependant entre Lafont et Espieux à la fin de 1947 et en 1948, comme « Aliscamps » et « Telaranha » auxquels sont portées des corrections :

Segur « Telaranha » es lo mot dau recuelh. Mai l’ai trevirada, puei « lo latin dau matin » a casut, qu’amaves pas, mai la fin e « sa grandor » son estats trasmudats. Per que ? Per que me sieu dich de la metre en musica, una musica que bressava mi camins d’a pe dins la greva dau metro (uros occitans qu’an ges de metrò, se ditz pasmens que Marselha, bensai…). E coma aquela versión novela te podriá estre utila, te la mande çai-jonh. Oc, « Telaranha » es la clau dau poema. I a aqui un resson d’aquel planh classic sus l’auba que « tant tost ven », i a tanben una idea per nosta Occitania ; enfin i a quauqua ren de mon estec pantaisaire que congrelha de raive subre-beus e qui prefera li deissar per d’autri raives, venguda l’ora de li realizar. Te mandarai Lo bels Narcissus en la font o pusleu vau lo mandar a Roqueta que te lo passarà. Podriá estre la fin de Telaranha, emai que siá pas trop parier. Quora Castan aura legit diga-i de la mandar a Roqueta. Lettre d’HE à RL du 7 novembre 1947.

[Certes « Telaranha » est le mot du recueil. Mais je l’ai changé, et puis « le latin du matin » est tombé, que tu n’aimais pas, mais la fin et sa « grandeur » ont été modifiées. Pourquoi ? Parce que j’ai eu l’idée de la mettre en musique, une musique qui berçait mes chemins pendant la grève du métro (heureux occitans qui n’ont pas de métro, bien qu’à Marseille, peut-être, à ce qu’on dit…) Et comme cette nouvelle version pourrait t’être utile, je te l’envoie ci-joint. Oui, « Telaranha » est la clé du recueil. Il y a là un écho de ce planh classique sur l’aube qui « si tôt vient », il y a aussi une idée pour notre Occitanie, enfin il y a quelque chose de ma tendance rêveuse qui fait de magnifiques rêves et qui préfère les laisser pour d’autres rêves, au moment de les réaliser. Je t’enverrai « Le beau Narcisse à la fontaine », ou plutôt je vais l’envoyer à Rouquette qui te le passera. Ce pourrait être la fin de Telaranha, même si c’est un peu différent. Quand Castan aura lu, dis-lui de l’envoyer à Rouquette.]

Une version nouvelle du poème clé « Telaranha » est jointe à cette lettre du 7 novembre 1947. Les corrections vont dans le sens d’une recherche d’harmonie et de musicalité en mode mineur où la « grandeur » est proscrite. Le poème représenterait la lueur de l’aube troubadouresque au cœur de la nuit du recueil, lueur intime accordée à des rêves plus vastes pour le destin de l’Occitanie23.

TELARANHA24

Is estelas
Radarelas
Rata-penadas de ma nuech
Se mor lo cant de mon ennuech

E poncheja
L’auba clara
Que clareja
Dins l’amara
Languison
de l’eiganha
Telaranha
Enviscada
dins l’astrada
dau resson

E coma ara
Sus li terras
La nebla roja dau soleu
Estrenh la carce de mon ceu.

[ARANTÈLE

Aux étoiles
planeresses
chauves-souris ma nuitée
gît le chant de mon ennui.
Et pointe
l’aube claire
qui claroie
dans l’amère
mélancolie
de la rosée
arantèle
engluée
dans le destin
de l’écho.
Comme maintenant
sur les terres
la brume rouge du soleil
étreint la prison de mon ciel.]

De fonction et de tonalité bien différentes, le poème « Aliscamps » fait également l’objet de beaucoup d’échanges et de corrections. Le jugement de Lafont importe vivement à Espieux, comme on le voit dans la lettre du 7 novembre citée plus haut, à propos de ce poème inaugural du recueil, poème long, poème phare, appelé « Tombeu per Federico Garcia Lorca » (dans l’édition définitive tombeu deviendra ataüt). L’évocation d’un lieu sacré de la mémoire provençale est associée à celle du poète espagnol dont Max Rouquette avait révélé aux occitans la voix si proche, le « chant profond25 » dans un compte rendu fait dans Oc (ivèrn 194326) des Poèmes du « Cante rondo » traduits en français par Pierre Darmangeat. Aucune lumière dans ce « romavatge d’infern » où des eaux stagnantes côtoient des fleuves de sang27 et qui préfigure par certains aspects, surtout dans les premières versions, le caractère sacré du « Rèi mort » de Delavouët28. La version manuscrite que nous avons trouvée, à la suite de la lettre du 9 mars 1948, est de la main de Robert Lafont. Espieux lui avait demandé en effet, en février de la même année, de recopier pour lui « Aliscamps » et de l’envoyer au jury du concours de la « Ginèsta d’aur » à Perpignan organisé à l’occasion des Jeux Floraux du 4 mai 1948 :

Se pòs, te demande de i mandar mon poema dedicat a Lorca, vole dire « Aliscamps » que n’ai pas de doble a l’ostal. Lettre d’HE à RL du 26 février 1948.

[Si tu peux, je te demande de leur envoyer mon poème dédié à Lorca, je veux dire « Aliscamps » dont je n’ai pas de double à la maison.]

et il l’en remercie :

Sias gent de lis aver mandats al senher Grando mis « Aliscamps ». Non sai se lo nom de Federico Garcia Lorca me sera d’ajuda en aquel concors mai espere que la qualitat que i destriaves lo poirà far escalar fins a la branca dis aucels per emplegar lo vocabulari peirenc… Lettre d’HE à RL du 9 mars 1948.

[Tu es gentil d’avoir envoyé à Grando mes « Aliscamps ». Je ne sais si le nom de Federico Garcia Lorca m’aidera dans ce concours, mais j’espère que la qualité que tu y trouvais pourra le faire grimper jusqu’à la branche des oiseaux, pour employer le vocabulaire de Peyre…]

Ensuite, il demande à avoir communication de cette copie sur laquelle il opère encore plusieurs modifications dont témoignent les lettres de 1948.

PS : manda me se pòs lo text d’« Aliscamps ». M’en dises tant de polidi causas que m’es venguda enveja de lo tornar legir (n’ai degun record) e coma m’es vejaire que mon recuelh me revendra pas abans pas mau de temps… Lettre d’HE à RL du 1er mai 1948.

[Envoie-moi, si tu peux, le texte d’« Aliscamps ». Tu m’en dis tant de jolies choses que j’ai eu envie de le relire (je n’en ai aucun souvenir) et comme je crois que mon recueil ne me reviendra pas avant un certain temps…]

Et trois mois plus tard :

Te mande pereu la nova version d’« Aliscamps». Me pense qu’auras rectificadas d’espertu li decas de typo di poemas que te passeri l’autre jorn. Lettre d’HE à RL du 25 juillet 1948.

[Je t’envoie aussi la nouvelle version d’« Aliscamps ». Je pense que tu auras rectifié de toi-même les fautes de typo des poèmes que je t’ai fait passer l’autre jour.]

Et encore :

« Aliscamps » : ai suprimidas las estrofas 7, 8 e 9. Per ara i pode pas canviar mai. Lettre d’HE à RL s.d. (1948)

[« Aliscamps », j’ai supprimé les strophes 7, 8 et 9. Pour l’instant je ne peux pas changer davantage.]

Des autres poèmes qui composent Telaranha, il a perdu le souvenir et il en parle avec quelque amertume, toujours avec l’idée d’autres publications possibles.

Non sai ont es ma Telaranha e farai pas un moviment per la trobar. Mai ai pro de poemas per faire un recuelh. Tre rintrat, farai mon causit e lo mandarai a Girard amb viradura. Bensai pareissera en decembre. Quinze poemas bensai. Lettre d’HE à RL. s.d. [1948]

[Je ne sais pas où est ma Telaranha et je ne ferai pas un geste pour la trouver. Mais j’ai assez de poèmes pour faire un recueil. Dès que je serai rentré, je ferai mon choix et l’enverrai à Girard avec traduction. Peut-être paraîtra-t-il en décembre. Quinze poèmes sans doute.]

Robert Lafont publie en 1948 dans Occitania deux poèmes courts d’Espieux, l’un intitulé « Ciucles de monts » (genier 1948, n° 3) annoncé comme « trach de Telaranha, per paréisser leu » [extrait de Telaranha, à paraître], l’autre (julh 1948, n° 5) : « Desbaus », dédié à Joan Mozat. Ni l’un ni l’autre ne figureront dans le recueil. Un choix de trois autres poèmes qu’il avait soumis à Espieux pour publication avait reçu cette réponse :

Vese que ton chausit de mi vers es pusleu estrech. N’as retengut que tres – e sieu d’acordi e te gramacieu. Sieu d’acordi a despart de « Debanament » qu’es pas madur de segur mai que m’agrada. Lettre d’HE à RL. s.d. [1948]

[Il est vrai que ton choix de mes vers est plutôt étroit. Tu n’en as retenu que trois –je suis d’accord et je te remercie. Je suis d’accord à l’exception de « Debanament » qui n’est peut-être pas mûr mais qui me plaît.]

En janvier 1949 commence avec Max Rouquette, alors secrétaire général de l’IEO, une correspondance fervente de la part d’Espieux29 qui dit à plusieurs reprises la longue admiration qu’il nourrit envers celui qui lui a révélé la poésie occitane contemporaine et qui vient de lui dédier Lo flume grand :

Sieu ieu pas qu’un element de vosti batalhons – mentre que vos, vos coneissieu ben abans que de coneisser l’IEO. Somnis de la nuoch an après au Provençau que sieu a dobtar de Mistral. Sabieu pas se li eriatz pas contemporaneu, sabiai pas que vostre poesia. Lettre d’HE à MR du 21 mars 1949.

[Je ne suis, moi, qu’un élément de vos bataillons – tandis que vous, je vous connaissais bien avant de connaître l’IEO. Somnis de la nuoch ont appris au Provençal que je suis à douter de Mistral. Je ne savais pas si vous n’en étiez pas contemporain, je ne connaissais que votre poésie.]

Foguet un temps ont granda era ma solesa, tant granda que se pot pas dire. Foguet un temps que descurbriguere Somnis de la nuoch sus una tauleta de la « Libraria regionalista ». E d’aqueu temps vos ne garde un deute que jamai ren poira pagar. Lettre d’HE à MR du 24 avril 1949.

[Il fut un temps où grande était ma solitude, à un point qu’on ne saurait dire. Il fut un temps où j’ai découvert Somnis de la nuoch sur une tablette de la Librairie régionaliste. Et de ce temps je garde envers vous une dette que rien ne pourra jamais payer.]

Il lui demande bien entendu ce qu’il pense de Telaranha :

Vos mande amb aquela letra uni poemas, li i disieu Lo bel Narcissus. N’avia un vintenau quora ne parlave, ara n’i a que la sobra. Per quant a Telaranha que se passeja entre Lafont, Castan e Lagarde, me pense que l’avetz ara. Lafont m’en a fach una critica di longas e di senadas, agradiva totjorn, mai sensa trop d’indulgencia. Es un bon critic, e sis autri criticas afortisson mon jutjament sus eu. Adonc vos mande aquo que sera la finida de Telaranha. I siguetz pas trop crudeu, mas aguetz pas paor de dire voste entier vejaire. L’Occitania m’es cara pas que per quauqui pichoti vers. Lettre d’HE à MR du 10 janvier 1949.

[Je vous envoie avec cette lettre des poèmes que j’appelais Le beau Narcisse. J’en avais une vingtaine quand j’en parlais, à présent il n’y a que ceux qui restent. Quant à Telaranha qui voyage entre Lafont, Castan et Lagarde, je pense que maintenant vous l’avez. Lafont m’en a fait une critique longue, sensée, toujours plaisante mais sans trop d’indulgence. C’est un bon critique et ses autres critiques renforcent mon jugement sur lui. Donc je vous envoie ce qui sera la fin de Telaranha. Ne soyez pas trop cruel, mais n’ayez pas peur de me dire entièrement votre avis. L’Occitanie ne m’est chère que pour quelques petits vers.]

Mais il l’entretient surtout de ses projets, d’« une grande littérature occitane » qu’il voudrait écrire avec Lesfargues, d’une sextine à laquelle il travaille, de ses échanges avec Nelli, de la poésie de Lorca, de Bachelard, de Cordes, de Mouzat… et de Verd Paradís

que me pareis dever estre lo mai linde e lo mai revolumaire assai de prosa poetica dempuei La Bestia dau Vacarès. Lettre d’HE à MR du 10 janvier 1949.

[qui me paraît devoir être le plus limpide et le plus bouleversant essai de prose poétique depuis La Bête du Vaccarès.]

Dans une lettre datée du 24 avril 1949, il évoque la correction des épreuves de Telaranha :

PS Lo 15 de junh : Fai mai d’un mes qu’aquela letra es començada, ne sieu tot vergonhos. Finisse de veire lis esprovas de Telaranha. Te ne ploguet de correccions e de correccions, mai ara sieu content.

[Le 15 juin. Cela fait plus d’un mois que cette lettre est commencée, j’en suis tout honteux. Je finis de regarder les épreuves de Telaranha. Il en a plu des corrections et des corrections, mais maintenant je suis content.]

Du manuscrit au texte, ultimes corrections et déplacements

Cet aveu nous permet de lire les corrections de Telaranha comme des corrections suggérées par l’éditeur sans doute, mais approuvées et en partie réalisées par l’auteur. On trouve ainsi dans Oc de juillet 1949, trois poèmes d’Enric Espieux, « trach de Telaranha, a l’estampa » [Extrait de Telaranha, sous presse] : « Aliscamps » (en memôria de Federico-Garcia Lorca), « Mirau » (a Max Roqueta), et « Sobernas » (a B.-A. Lesfargues).

« Aliscamps »

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Poème d’Espieux de la plume de Robert Lafont

Archives Robert Lafont, CIRDOC – Institut occitan de cultura

« Aliscamps »

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Le poème « Aliscamps » dans l’édition Messatges p. 5 et 7

Le poème « Aliscamps » comprend sept quatrains en rimes croisées, mais sensiblement différents de la version de février 1948 recopiée par Lafont. La strophe 3, sur le thème de la berceuse funèbre, accentue l’image d’étouffement 30: « d’aigas morta’aclaparelas / d’una mort e d’un ressòn » [d’eaux mortes amoncelées / d’une mort et d’un écho], au détriment de la mélodie un peu légère : « d’aigas mortas d’una mort / d’una mort e mai de mila » [d’eaux mortes d’une mort / d’une mort et de mille autres]. Les strophes 5, 6 et 7 introduisent une référence plus explicite au poète andalou et à sa mort, supprimant la mythologie de l’enfer (« demons » et « cats-fers » [chats sauvages]) pour une allusion plus moderne aux « argusins » [argousins].

La version définitive accompagnée de la traduction ne présentera avec cette version d’Oc que quelques variantes de graphie : au vers 5 : « malanconias > malancònias » ; au vers 7 : « testimonias > testimònias » ; au vers 10 : « ressôn » > « ressòn » ; au vers 12 : « cançôn » > « cançón » ; aux vers 21-22 et 23, de même, « memôria, Andalôs et glôria » sont écrits : « memória, Andalós et glória ». Au vers 15 « lonc » est corrigé en « long » et au vers 27, « remavatge » en « romavatge ». Enfin, la dédicace « en memôria de F-G Lorca » devient « ataüt per F-G Lorca ». Dans toutes les versions consultées, la syllabe finale féminine du vers 13 (« volencia » que Lafont écrit « voléncia ») et celle masculine du vers 15 (« silenci ») riment selon la prononciation provençale.

« Toradas » et « Sobernas »

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Poème inséré dans une lettre d’HE à RL du 08/09/47 (CIRDOC – Institut occitan de cultura) et publié dans Messatges p. 9

Le second poème du recueil, intitulé « Sobernas », est le poème dont Espieux avait commenté la première version sous le titre de « Toradas ». Les manuscrits successifs constituent bien ici « le témoignage quasi archéologique du parcours d’un auteur à travers les conflits constitutifs du sens du texte » comme l’écrit Michel Espagne31. Outre le titre, plusieurs modifications ont été apportées à cette version : le vers de Rimbaud mis en exergue a disparu, seule la dédicace à Lesfargues subsiste. La nécessaire correction du barbarisme « aucelums », au premier vers (« Mai lis aucelums cabussats ») et au vers 10 (« Oc-ben lis aucelums son morts »), fait place, en occitan, à des tournures nominales qui ne sont pas conservées en français dans l’édition.

Mai lo capbus de l’aucelum ? v. 1 (Mais les oiseaux précipités ?)

Malamanha sus l’aucelum. v. 10 (Le malheur est sur les oiseaux.)

Par un étrange glissement dont on ne voit pas la nécessité poétique – l’auteur ayant fait la brillante démonstration du contraire – et dont on pressent qu’il correspond à des impératifs typographiques32, fréquemment rencontrés alors dans les éditions occitanes, la citation de Rimbaud « Les péninsules démarrées »se trouve déplacée au troisième poème du recueil intitulé « Solomi ». Certes le premier vers rappelle l’enrochement des péninsules, « li mont-caumas, li toradas », mais leur « démarrage » n’est pas le thème central du poème, beaucoup plus orienté vers une rêverie crépusculaire prolongée dans le poème IV : « Nocturn ».

Le poème VII déjà cité : « Telaranha », traduit par « Arantèle33 », est modifié quant à sa ponctuation : chacune des trois strophes correspond à une phrase commencée par une majuscule et terminée par un point. Quelques variantes ont été apportées à un texte déjà beaucoup travaillé de l’aveu même du poète. Le vers 4 resserré semble éviter le redoublement du possessif présent au vers 3. Ainsi : « Se mor lo cant de mon ennuech » devient : « Jai la canta de l’enueg ». La modification des rimes des deux derniers vers remplace un cliché verlainien « la nebla roja dau soleu / estrenh la carce de mon ceu » par un symbolisme géographique un peu plaqué et qui, pour le coup, ajoute un de ces effets de « grandeur » précédemment pourchassés : « la nebla roja dau sorgent / estrenh la cárcer d’Occident » [la brume rouge de la source / étreint la prison d’Occident].

Le poème XI : « Debanament », a fait l’objet de corrections nombreuses mais dont on n’a pas trouvé de trace. Espieux dit à ce sujet à Max Rouquette :

Telaranha seria ben dins la rega vostra que lo descursiu e lo descriptiu n’es fora-bandit. Particularament « Debanament », qu’es tres exactament lo joc di forfenas en mis uelhs barrats, cremats e estabosits per aver espinchat de trop pres un lum trop fort. Es veraiament espetaclos de veire coma lis images nascudas en aquela escasença son dins la rega generala dau recuelh… Lettre d’HE à MR du 8 janvier 1950.

[Telaranha serait bien dans la ligne qui est la vôtre, dont le discursif et le descriptif sont proscrits. Particulièrement « Debanament » qui est exactement le jeu des chimères dans mes yeux fermés, brûlés et étourdis pour avoir regardé de trop près une lumière trop vive. C’est vraiment spectaculaire de voir comment les images nées à cette occasion sont dans la ligne générale du recueil…]

Le poème « De negra nuech » dédié à Robert Lafont et qu’il lui avait envoyé dès septembre 1947 se trouve placé en avant-dernière position (poème XII), et peu modifié34 sinon dans l’esprit d’une harmonisation graphique qui met « pro » pour « pron », « aga » pour « ague », mais assez intempestivement « cel » pour « ciele » où l’on aurait attendu « ceu », comme dans les poèmes I (« ont es lo ceu ? ») et XI (« ceu de negror).

Promotion et réception

La parution de Telaranha, retardée, semble-t-il, jusqu’en septembre 1949, occupe activement Espieux : bulletins de souscription à diffuser, recensions à organiser dans les revues et journaux occitans et français. Le bulletin de souscription dont il est question en juin 1949 arrive en même temps que celui de Charles Galtier, ce qui met les deux Provençaux en concurrence :

Telaranha sortis vers lo 15 d’agost. Li soscripcions arriban pauc a cha pauc. Mai la sortida proxima del recuèlh de Galtier35 es pas per m’ajudar. Basta i ai mandat mon chèque. Lettre d’HE à RL juillet 1949.

[Telaranha sort vers le 15 août. Les souscriptions arrivent peu à peu. Mais la sortie prochaine du recueil de Galtier ne m’aide pas. Bon, je lui ai envoyé mon chèque.]

De façon générale il se montre très directif :

Siai bensai un pauc trop practic mai vau mielhs que Telaranha sia crompada e non mosiga sus li tauletas de l’IEO. Lettre d’HE à RL s.d. 1949.

[Je suis peut-être un peu trop pratique, mais mieux vaut que Telaranha soit acheté et ne moisisse pas sur les tables de l’IEO.]

Il donne à Robert Lafont, en juillet 1949, le modèle d’une annonce parue dans La République du Var. à faire paraître dans « le journal de Max Allier36 » ou d’autres publications françaises. Il le remercie de lui avoir promis un article dans Les Lettres Françaises :

As agut lo gentum de me prometre un article sus Telaranha dins Li Lettres Françaises tre ton exemplari reçauput, te demande de i pensar. Telaranha es encara lo cant de la Provença, mai de la Provença minerala. E pasmens i ai ensajat de i metre d’umanitat… Lettre d’HE à RL s.d.

[Tu as eu la gentillesse de me promettre un article sur Telaranha dans Les Lettres Françaises dès réception de ton exemplaire, je te demande d’y penser. Telaranha c’est encore le chant de la Provence, mais de la Provence minérale. Et pourtant, j’ai essayé d’y mettre de l’humanité.]

Il lui explique en détail la marche à suivre :

Telaranha. Encara mercés per ton acordi. Lo mai practic es de trasmetre ton article a Elsa Triolet, secretaria generala dau CNE, 2 rue de l’Elysée, Paris, VIIIe. Es per lo SG que Violaines passet son article sus l’IEO. Fau* mandar a Elsa Triolet un exemplari de Telaranha (li anonciar dins ta letra).
* fau de far e non de faler
(en note dans la marge) Lettre d’HE à RL du 4 octobre 1949.

[Telaranha. Encore merci pour ton accord. Le plus commode est de faire passer ton article à Elsa Triolet, secrétaire générale du CNE, 2 rue de l’Élysée, Paris, VIIIe. C’est par le SG que Violaines a fait passer son article sur l’IEO. Il faut envoyer à Elsa Triolet un exemplaire de Telaranha (le lui annoncer dans ta lettre).]

La réception de Telaranha lui fournit l’occasion d’approfondir et de s’expliquer à lui-même les intentions et les gestes de la création poétique.

À Max Roquette qui l’avait félicité pour « lo cant jovent de [sa] poesia » [le jeune chant de sa poésie] il annonce un « changement profond d’attitude » poétique :

Lo gentum de vostre jutjament sus Telaranha m’es una gaug. E pasmens sabe que lo ton de mis poemas avenidors sera tot diferent. Qu’ai escapat a la nuech, a la prigondor, per anar vers la lutz e lis auturas. Lo recuelh venent (ai ja un cinquantenau de poemas) marcarà un canviament prigond d’actitud. E Nietzche e Shelley me seran guidas e li carrieras de Paris dins lo vent e la plueja*, e lo record de l’agudesa doça e crudela d’aqueli colas de Tolon e que sabetz. Lettre d’HE à MR du 8 janvier 1950.

[La gentillesse de votre jugement sur Telaranha me fait plaisir. Et pourtant je sais que le ton de mes poèmes à venir sera tout différent. Que j’ai échappé à la nuit, à la profondeur, pour aller vers la lumière et les hauteurs. Le recueil suivant (j’ai déjà une cinquantaine de poèmes) marquera un profond changement d’attitude. Et Nietzche et Shelley seront mes guides, ainsi que les rues de Paris dans le vent et la pluie et le souvenir du l’acuité douce et cruelle de ces collines de Toulon que vous connaissez.]

À Lafont dont il avait recopié une longue lettre le félicitant d’avoir trouvé la voie du « trobar clus » et lui recommandant de ne pas chercher à s’en échapper trop tôt, il répond comme à Max Rouquette :

Clus que clus, mon trobar a calat d’estre negre. Lettre d’HE à RL du 8 septembre 1950.

[Tout hermétique qu’il soit, mon art poétique a cessé d’être noir.]

Dans la même lettre, il semble, pour contredire les nombreux commentaires sur la « noirceur » de Telaranha ou sur son intellectualisme37, vouloir aller vers une poésie plus sereine et plus ample, en donnant pour exemple certains poèmes « modificats e, de cops que i a, coflats » [modifiés et parfois gonflés] comme « Desbaus »38 qui avait été publié dans Occitania en janvier 1948. Il ne cesse de méditer sur le style de Telaranha, sur ses modèles et ses perspectives, tout en reconnaissant qu’il est encore loin de pouvoir écrire son « art poétique » :

Te dirai volontiers – aprèp lectura de Paraulas e de Flaüta – que ton inspiracion me sembla mai vesina de la d’un Peyre que de la d’un Roqueta, d’un Mozat, d’un Rebol. A quicom de l’esperit de Telaranha (que li deu fòrça, dau Telaranha de « Nocturn » e de « Telaranha » e non pas de « Sobernas » e « Solomi »), d’un esperit que n’ai patit de longa e qu’ai defugit, de l’esperit di poemas frances qu’escriguere un cop era. Lettre d’HE à RL du 8 septembre 1950.

[Je te dirai volontiers – après lecture de Paraulas et de Flaüta – que ton inspiration me semble plus proche de celle d’un Peyre que celle d’un Rouquette, d’un Mouzat, d’un Reboul. Elle a quelque chose de l’esprit de Telaranha (qui lui doit beaucoup, le Telaranha de « Nocturne » et « Arantèle », non pas de « Marées » ni « Cantilène »), d’un esprit dont j’ai souffert longuement et que j’ai fui, de l’esprit des poèmes français que j’ai écrits autrefois.]

Espieux conduit cependant depuis plusieurs années, avec subtilité et persévérance, une réflexion originale sur la théorie poétique, cherchant des modèles philosophiques chez Nietzche39, Jung, Bachelard, Sartre... et ne cessant de disserter sur les poètes proches qu’il lit et relit, copie et recopie et étudie selon une méthode de comparaison et de classement que pratiquera plus tard, d’une certaine manière, Félix Castan. Il ébauche, par exemple, dans une lettre du 7 juin 1952, une opposition systématique entre Manciet et Lafont, ainsi que, dans une note du 15 mars 195040, une comparaison entre Mouzat et Rouquette. Il participe à l’hommage rendu par Oc à Godolin41, réfléchit à la spécificité de la création occitane dans l’histoire42 ou bien trace les grandes orientations de la poésie occitane contemporaine, entre l’influence des troubadours, l’inspiration du folklore et la proximité du surréalisme :

Se vos mon vejaire, me pensi que tu, amb d’autres, tau que Lagarde, Rouquette e bessai Roudin e Nelli, avetz trespassats li raras de tota poesia actuala, per venir picar a la porta d’una presencia mai discernida, presencia que ieu tamben assagi d’enviscar dins mi poemas. Se l’escola poetica occitana avia’n nom, li dirieu presencialisme. Non sai s’es d’acordi, mas aimarieu d’en discutir amb tu. Conoissi pas pron li poetas occitans per poder destriar d’autres sorgents, pasmens parlarieu volontier de l’escola nihilista de Peyre, de l’escola academica de Provença de Gasconha e di Juec Floraus, de l’escola engatjada de Reboul, R. Tricoire e Camprós, e bessai de la joina escola formala e japonizanta d’Esteve e de Manciet. Lettre à d’HE à RL du 11 août 1947.

[Si tu veux mon avis, je pense que toi, et d’autres, comme Lagarde, Rouquette et peut-être Roudin et Nelli, vous avez dépassé les frontières de toute poésie actuelle, pour venir frapper à la porte d’une présence plus pénétrante, une présence que j’essaie moi aussi de capter dans mes poèmes. Si l’école poétique avait un nom, je l’appellerais : présentialisme. Je ne sais pas si tu es d’accord, mais j’aimerais en discuter avec toi. Je ne connais pas assez les poètes occitans pour pouvoir distinguer d’autres sources, pourtant je parlerais volontiers de l’école nihiliste de Peyre, de l’école académique de Provence et de Gascogne et des Jeux Floraux, de l’école engagée de Reboul, R. Tricoire et Camproux, et peut-être de la jeune école formelle et japonisante d’Esteve et de Manciet.]

Cette réflexion se situe dans le fil de l’article paru dans Oc (genier 1949) sur l’anthologie du Triton Bleu : La jeune poésie occitane de Lafont et Lesfargues43, article remarquable par sa connaissance nuancée de chacun et par l’évocation enthousiaste de ce qui fait, dans « le sang, la chair et les chants de la jeunesse », le mouvement collectif de la renaissance occitane :

Ne raja de toti lis encontradas, Provença, Gasconha, Catalonha, Lemosin, Lengadoc. « L’aire sentís a batre, l’aire sentís a gran »44. Max Roqueta, lo primier, per drech de cap-d’obra, lo que, tre ara, tant coma a Guilhem IX, podem sonar « maiestre certan ».

[Il en jaillit de toutes les contrées, Provence, Gascogne, Catalogne, Limousin, Languedoc. « L’air sent le battage, l’air sent le grain ». Max Rouquette, le premier par droit de chef-d’œuvre, celui que, dès à présent, comme Guillaume IX, nous pouvons appeler « maître certain ».]

Le temps de Telaranha est pour Henri Espieux particulièrement fécond, en inspiration poétique, en amitiés, en projets, en engagements et reconnaissances. La consécration vient de Girard qui, en 1950, lui confie la direction littéraire de Messatges, à laquelle il se consacre avec conviction, seul jusqu’en 1958, puis en collaboration avec Bernard Manciet. Il aura ainsi l’occasion de publier des poètes découverts par les occitanistes, comme Robert Allan, Pierre Rouquette, Denis Saurat (dont il traduit Encaminament Catar), Maxence (dont il traduit Sòrga en 1958), plus tard, Serge Bec, Yves Rouquette, mais aussi des poètes amis comme Jean Mouzat, Felix Castan, Bernard Lesfargues, André Lagarde, Max Allier, Bernard Manciet, Robert Lafont, dans une période des plus exaltantes, où il s’agit, comme dit Castan, de « témoigner d’une vie multiple qui veut prendre naissance et briller de tous ses feux45», en produisant des « Messages de la réalité occitaniste et non des Messages de personnalités ».

De cette convergence de vers, d’images et de musiques naîtra :

La cara – tota joi et jovent – d’un gèni d’oc que degun sabiá.

[Le visage – tout de joie et de jeunesse – d’un génie d’oc que personne ne connaissait.]

La poésie n’est pas pour cette génération une détente en marge de l’action, mais une composante de l’action elle-même :

Las oras consacradas a la poesia son pas raubadas a la batesta.

[Les heures consacrées à la poésie ne sont pas volées à la bataille.]

ou encore :

La poesia es un terraire mau conegut e ricas menas e seuvas poderosas i son bensai rescondudas que nostre trabalh saupriá ne tirar de ricors practicas. Projet de rapport sur Messatges, proposé à Castan46. [s. d.]

[La poésie est un terroir mal connu et de riches mines et de puissantes forêts y sont peut-être cachées dont notre travail saurait tirer des richesses concrètes.]

La métaphore de l’archipel, chère à Philippe Gardy, exprime chez Espieux la dialectique de l’un et du multiple : des îles isolées ont un puissant ancrage commun dans une chaîne sous-marine :

Ne vene a concebre la poesia coma un arquipeu. Salisson de la mar lis isclas dins son nus e son esparpalhat e pasmens se sentis la prigonda unitat e lo vam de la cadena montanhesa resconduda per lis aigas dins lo mistèri blau de la mar. Lettre d’HE à RL du 7 juin 1952.

[J’en viens à concevoir la poésie comme un archipel. Jaillissent de la mer les îles dans leur nudité et leur éparpillement, et pourtant on sent la profonde unité et l’élan de la chaîne montagneuse cachée par les eaux dans le mystère bleu de la mer.]

Mais Espieux, en dépit d’une production qui ne faiblit pas, se montre, dans ces années-là, plus soucieux du bien commun que la reconnaissance de son œuvre personnelle. Il ne sera plus publié dans Messatges avant Breiz Atao en 1969. Il publie chez Seghers, en 1954, avec le poète wallon Albert Maquet : Luire dans le noir / Lutz dins l’escur, recueil pour lequel il demande à Robert Lafont de « nettoyer la graphie47 ». Il édite ensuite plusieurs « trobas » aux éditions fondées par lui : Telo Martius, à Toulon. Ce sont : Falibusta en 1962, Òsca Manòsca en 1963, Finimond en 1967, recueils de grande qualité mais peu représentatifs du volume et de la puissance de sa poésie dont on peut se faire une idée grâce aux ouvrages rassemblés et publiés ensuite par Jean Larzac : Paure mai que li paures sabe qu’es un païs en 1970, Lo temps de nòstre amor, lo temps de nòstra libertat (1972), et Joi e jovent (1974). Les manuscrits conservés au CIRDOC (Inventaire des manuscrits isolés et fonds Henri Espieux) laissent penser qu’une grande partie de cette poésie, dont plusieurs recueils composés, est encore inédite.

1 François Pic, Catalogue des manuscrits occitans, Toulouse, Dòcuments, 2021. p. 647-663.

2 Enric Espieux, Tròbas I (1947-1960), Jorn, 2018; Tròbas II (1960-1961), Jorn, 2019. (note 2021)

3 « Aqueste quasern » / « Ce cahier », dit l’éditeur, dans le pavé de justificatif de tirage.

4 Respectivement, en 1942 : Poesies catalanes de Josep Sebastian Pons, Entre l’esper e l’abséncia de René Nelli, Sòmnis de la nòoch de Max Roqueta.

5 En 1946 : Paraulas al vielh silenci de Robert Lafont, Aquarela de Léon Cordes.

6 Poesias de Santillana presentadas per Jean Cassou, Pierre Darmangeat et Max Roqueta.

7 CIRDOC. ESP.01-01-01. Langue-poésie. [f°28] et [f°37 - 47].

8 Nous remercions vivement Fausta Garavini de nous avoir autorisée à consulter cette correspondance et nous remercions Aurélien Bertrand du CIRDOC

9 Médiathèque Emile Zola. Mtp. Fonds Max Rouquette (rés.) MRC [f° 0107 à 0129].

10 CIRDOC. ESP 01-03-07. Libre de memorias. Lettre non datée.

11 CIRDOC. ESP 01-01-01. Langue-poésie. Lettre du 8 février 1950.

12 En janvier 1946 paraît le n°6.

13 Revues Oc de 1949, 2e de couv. « Centre de Paris, delegat Enric Espieux, 15 carriera Spontini, Paris XVIe ».

14 La jeune poésie occitane, Anthologie composée par Bernard Lesfargues et Robert Lafont », Le Triton bleu, J. Chaffiotte, Paris, 4e trimestre 1946.

15 Il est souvent question, aussi bien dans ses lettres à Robert Lafont que dans celles à Max Rouquette de la place et du fonctionnement de « l’

16 Lettre du 11 août 1947. La question a été abordée avec Robert Lafont le 10 juillet 1947 : « P.S. Quant a li / lei, bessai as rason […] Sieu vengut

17 René Nelli, Entre l’esper e l’abséncia, Messatges, 1942, Poème IV. Lo masc. « Com un taur eternal, la sèrra / Espèra encara, cap-baissat / La nuèit

18 Gardy, Philippe, René Nelli, la recherche du poème parfait. Garae Hésiode, Carcassonne, 2011, p. 56.

19 Henri Espieux signe dans ce numéro un article d’idées : « Lo provincialisme de Vichy » p. 84-85.

20 CIRDOC. LAF 0/02, 1943-1964. Lettres de Felix-Marcel Castan à Robert Lafont.

21 Cette phrase est écrite dans la marge.

22 Confusion de terme avec « enviar ».

23 « E adés serà l’auba » occupe une place centrale et symbolique dans le recueil Paure mai que li paures, sabe qu’es un païs, publié par Jean Larzac

24 Voir infra la comparaison entre cette version et la version de l’édition définitive.

25 Max Rouquette traduit « cante rondo » par « cant prigond ». Il traduira le Cante rondo en occitan. Poèma dau Cante Jondo de Federico García Lorca

26 Oc, n° 165, p. 21-23.

27 Mouzat écrit dans Oc, en juillet 1950 : « En primièr, lo cadavre de Federico García Lorca davala al fil d’un flume aclapat d’ombra devers d’

28 Max-Philippe Delavouët (1920-1990) publie en 1961 aux éditions du Bayle-Vert Istòri dóu Rèi mort qu’anavo à la desciso. Henri Espieux écrit à

29 Sur la correspondance entre Espieux et Rouquette, je me permets de renvoyer à l’article suivant : Claire Torreilles, « Max Rouquette à Henri

30 Espieux écrit dans un texte (fragment, s.d.) sur la « caforna » dans Mirèio : « La sentida de « caforna » es a l’origina de « Aliscamps » [L’

31 Michel Espagne, De l’archive au texte, Recherches d’histoire génétique, PUF 1998, p. 24.

32 « Toradas » rebaptisé « Sobernas » comprenait 18 vers, une citation en exergue et une dédicace, le poème suivant « Solomi » n’avait ni exergue ni

33 Le titre du recueil était traduit « Telaraigne » dans le bulletin de souscription.

34 v. 3 : « autièra lea di pibolas »> « autiva lea… » ; v. 4 « ont grelha » > « que grelha » ; v. 5 « pron » > « pro » ; v. 6 « ague tastat » > « n’ag

35 Lou Creirès-ti ?… Le Croirez-vous ?… Poème provençal, traduction française en regard, Marsyas, 1949.

36 La Marseillaise.

37 « Castan a parlat d’un « fil carnal que mancava. A agut rason » [Castan a parlé d’un fil charnel qui manquait. Il a eu raison.] Lettre à R.L. du 8

38 Mais le poème annoncé ne figure pas dans le dossier.

39 Il traduit de nombreuses pages d’Ainsi parlait Zarathoustra (Antau moriguèt Zaratostra). CIRDOC, ESP 01-01-08. Libre de memorias.

40 CIRDOC, ESP 01-03-07.Libre de memorias.

41 « Cernida de Godolin », Oc 172, avril 1949, p. 31-45. L’approche d’une certaine façon sociocritique d’Henri Espieux laisse apercevoir l’historien

42 « Lo veu dau temple », Oc 174, octobre 1949, p. 13-19. La réalité historique de l’Occitanie lui apparaît comme cyclique et difficile à définir

43 Claire Torreilles, « Les premières anthologies occitanes et l’ouverture d’un champ littéraire », in P. Gardy et M-J Verny, Max Rouquette et le

44 Espieux cite la fin de « Sègas » de Léon Cordes : « lo temps sentis a batre / l'aire sentis a gran », Leon Còrdas, Òbra poetica, IEO edicions, 2020

45 « testimoniar d’una vida multipla que vol naisser e escandilhar » [témoigner d’une vie multiple qui veut naître et rayonner] ; « Messatges de la

46 Publié dans Oc n° 179, janvier 1951, p. 29-33.

47 « Ara ai un grand servici a te demandar : poirias me netejar la grafia ? » [J’ai maintenant un grand service à te demander : pourrais-tu me

Bibliographie de l’œuvre poétique publiée d’Henri Espieux

1949, Telaranha, Toulouse, IEO, Messatges, 14 p.

1954, Luire dans le noir / Lutz dins l’escur (avec A. Maquet), Poèmes provençaux et wallons, préface de René Nelli, Paris, Seghers, 39 p.

1962, Falibusta, tròbas, l’espieut, Toulon, Quaserns tolonencs de la poesia occitana, 22 p.

1963, Òsca Manòsca, tròbas, Toulon, Telo Martius, 15 p.

1966, Finimond, tròba, Toulon, Telo Martius, 16 p.

1969, Breiz Atao (avec I. Rouquette et J. Larzac), Toulouse, IEO, Messatges, 61 p.

1971, Cançon de Garona, tròba, Agen, Cap e cap, 4 p.

1972, Lo temps de nòstre amor, lo temps de nòstra libertat, Toulouse, IEO, Messatges, 14 p.

1974, Joi e jovent, Toulouse, IEO, Messatges, 195 p.

2018, Tròbas I (1947-1960), éd. C. Torreilles, Montpeyroux, Jorn.

2019, Tròbas II (1960-1961), éd. C. Torreilles, Montpeyroux, Jorn.

1 François Pic, Catalogue des manuscrits occitans, Toulouse, Dòcuments, 2021. p. 647-663.

2 Enric Espieux, Tròbas I (1947-1960), Jorn, 2018; Tròbas II (1960-1961), Jorn, 2019. (note 2021)

3 « Aqueste quasern » / « Ce cahier », dit l’éditeur, dans le pavé de justificatif de tirage.

4 Respectivement, en 1942 : Poesies catalanes de Josep Sebastian Pons, Entre l’esper e l’abséncia de René Nelli, Sòmnis de la nòoch de Max Roqueta.

5 En 1946 : Paraulas al vielh silenci de Robert Lafont, Aquarela de Léon Cordes.

6 Poesias de Santillana presentadas per Jean Cassou, Pierre Darmangeat et Max Roqueta.

7 CIRDOC. ESP.01-01-01. Langue-poésie. [f°28] et [f°37 - 47].

8 Nous remercions vivement Fausta Garavini de nous avoir autorisée à consulter cette correspondance et nous remercions Aurélien Bertrand du CIRDOC pour son aide bibliographique.

9 Médiathèque Emile Zola. Mtp. Fonds Max Rouquette (rés.) MRC [f° 0107 à 0129].

10 CIRDOC. ESP 01-03-07. Libre de memorias. Lettre non datée.

11 CIRDOC. ESP 01-01-01. Langue-poésie. Lettre du 8 février 1950.

12 En janvier 1946 paraît le n°6.

13 Revues Oc de 1949, 2e de couv. « Centre de Paris, delegat Enric Espieux, 15 carriera Spontini, Paris XVIe ».

14 La jeune poésie occitane, Anthologie composée par Bernard Lesfargues et Robert Lafont », Le Triton bleu, J. Chaffiotte, Paris, 4e trimestre 1946.

15 Il est souvent question, aussi bien dans ses lettres à Robert Lafont que dans celles à Max Rouquette de la place et du fonctionnement de « l’écriture automatique » dans la création.

16 Lettre du 11 août 1947. La question a été abordée avec Robert Lafont le 10 juillet 1947 : « P.S. Quant a li / lei, bessai as rason […] Sieu vengut a la forma li en plaça de lei estent que fau servar l’unitat dau provençau. Es la lectura d’un librilhon de Berthaud que o m’a fach compréner. Mai sai pancara se servarai pas de formas maritimas que son identicas au lengadociàn : come / coma ; ame / ami ; uelh / iue ; kiue / cuech etc […] De qu’en penses ? Faudriá escriure a Roqueta. M’en entrevarai. » [PS. Quant à li / lei, tu as peut-être raison […] Je suis venu à la forme li au lieu de lei, étant donné qu’il faut garder l’unité du provençal. C’est la lecture d’un petit livre de Berthaud qui me l’a fait comprendre. Mais je ne sais pas encore si je ne conserverai pas des formes maritimes qui sont identiques au languedocien : come / coma ; ame / ami ; uelh / iue ; kiue / cuech etc […] Qu’en penses-tu ? Il faudrait écrire à Rouquette. Je m’en occuperai.

17 René Nelli, Entre l’esper e l’abséncia, Messatges, 1942, Poème IV. Lo masc. « Com un taur eternal, la sèrra / Espèra encara, cap-baissat / La nuèit que l’agenolharà / Jos las piadas de la Verge. »

18 Gardy, Philippe, René Nelli, la recherche du poème parfait. Garae Hésiode, Carcassonne, 2011, p. 56.

19 Henri Espieux signe dans ce numéro un article d’idées : « Lo provincialisme de Vichy » p. 84-85.

20 CIRDOC. LAF 0/02, 1943-1964. Lettres de Felix-Marcel Castan à Robert Lafont.

21 Cette phrase est écrite dans la marge.

22 Confusion de terme avec « enviar ».

23 « E adés serà l’auba » occupe une place centrale et symbolique dans le recueil Paure mai que li paures, sabe qu’es un païs, publié par Jean Larzac aux éditions 4 Vertats, 1970, p. 11.

24 Voir infra la comparaison entre cette version et la version de l’édition définitive.

25 Max Rouquette traduit « cante rondo » par « cant prigond ». Il traduira le Cante rondo en occitan. Poèma dau Cante Jondo de Federico García Lorca, Version occitana de Max Roqueta, Edicion establida per Felip Gardy, Letras d’oc, 2010.

26 Oc, n° 165, p. 21-23.

27 Mouzat écrit dans Oc, en juillet 1950 : « En primièr, lo cadavre de Federico García Lorca davala al fil d’un flume aclapat d’ombra devers d’Aliscamps anuechats, malastrucs de negror. » [D’abord le cadavre de Federico Garcia Lorca descend au fil d’un fleuve écrasé d’ombre vers des Aliscamps nocturnes, à la noirceur maladive.]

28 Max-Philippe Delavouët (1920-1990) publie en 1961 aux éditions du Bayle-Vert Istòri dóu Rèi mort qu’anavo à la desciso. Henri Espieux écrit à Robert Lafont le 18 novembre 1949 : « Ai getat aquesti jorns la promiera forma d’un poema que vole sonar « descisa » o quicom coma aquò. Es escrich sus lo ritme d’« Aliscamps » qu’es tanben (me’n avise uei) lo dau poema de Camprós [en marge : dins ton antologia]. Mai per l’aspecte propriament musicau, ai cercat quicom de leri e de linde, desparier dau viscos e dau greu d’« Aliscamps. » [J’ai jeté ces jours-ci la première ébauche d’un poème que je veux appeler « descise » ou quelque chose de ce genre. C’est écrit sur le rythme d’Aliscamps qui est aussi (je m’en rends compte aujourd’hui) celui du poème de Camproux [en marge : dans ton anthologie]. Mais, pour l’aspect proprement musical, j’ai cherché quelque chose de léger et de limpide, différent du visqueux et de la lourdeur d’« Aliscamps ».]

29 Sur la correspondance entre Espieux et Rouquette, je me permets de renvoyer à l’article suivant : Claire Torreilles, « Max Rouquette à Henri Espieux : Lettres à un jeune poète, 1947-1950 », Les Cahiers Max Rouquette n° 13, 2019 p. 57-65. [note 2021].

30 Espieux écrit dans un texte (fragment, s.d.) sur la « caforna » dans Mirèio : « La sentida de « caforna » es a l’origina de « Aliscamps » [L’angoisse de la grotte est à l’origine d’Aliscamps].

31 Michel Espagne, De l’archive au texte, Recherches d’histoire génétique, PUF 1998, p. 24.

32 « Toradas » rebaptisé « Sobernas » comprenait 18 vers, une citation en exergue et une dédicace, le poème suivant « Solomi » n’avait ni exergue ni dédicace et se composait de quatre quatrains. La tentation de reéquilibrer les masses typographiques était grande.

33 Le titre du recueil était traduit « Telaraigne » dans le bulletin de souscription.

34 v. 3 : « autièra lea di pibolas »> « autiva lea… » ; v. 4 « ont grelha » > « que grelha » ; v. 5 « pron » > « pro » ; v. 6 « ague tastat » > « n’aga tastat » ; v. 6 : « la flairor » > « lo flaire » ; v. 8 « lo ciele » > « lo cel ».

35 Lou Creirès-ti ?… Le Croirez-vous ?… Poème provençal, traduction française en regard, Marsyas, 1949.

36 La Marseillaise.

37 « Castan a parlat d’un « fil carnal que mancava. A agut rason » [Castan a parlé d’un fil charnel qui manquait. Il a eu raison.] Lettre à R.L. du 8 octobre 1950. Jean Mouzat dans Oc (juillet 1950) décrit Telaranha comme une perle noire, l’expression d’une fièvre noire : « aquela febre negra es lo mal de la jove generacion, lo mal del novel segle » [cette fièvre noire est le mal de la jeune génération, le mal du siècle nouveau.] Dans une émission radiophonique du 24 février 1950, Charles Camproux aurait parlé à propos de Telaranha (selon les notes d’H. E.) d’une « épidémie d’indéfinissable » et d’un « je ne sais quel parfum de poésie occitano-parisienne ». Quant à Sylvain Toulze, il entend dans Telaranha : « un clica-claca de vocables que voldrian fisar lo buf poetic a sa raise primièra » [un clic-clac de vocables qui voudraient confier le souffle poétique à sa racine primitive] et s’élève contre « de jocs de mandarins francimands que capusan a sai pas qual bizantinisme estèrle » [des jeux de mandarins français qui menuisent je ne sais quel bizantinisme stérile] (Gai Saber, Estiu 1950). Espieux lui écrit une longue lettre où il explique que les sources d’« Aliscamps » sont plus complexes qu’il ne pense : « son la vida de Lorca, la pintura de Van Gogh e mai que mai la sentida aguda, negra e despoderada que me dintret al cor en legir lo cant V de Mirelha, fai un brave moment d’aquo… » [ce sont la vie de Lorca, la peinture de Van Gogh et surtout le sentiment aigu de noire impuissance qui m’entra dans le cœur à la lecture du chant V de Mireille, il y a bien longtemps de cela.] Libre de memòrias. CIRDOC. ESP 01-03-07.

38 Mais le poème annoncé ne figure pas dans le dossier.

39 Il traduit de nombreuses pages d’Ainsi parlait Zarathoustra (Antau moriguèt Zaratostra). CIRDOC, ESP 01-01-08. Libre de memorias.

40 CIRDOC, ESP 01-03-07. Libre de memorias.

41 « Cernida de Godolin », Oc 172, avril 1949, p. 31-45. L’approche d’une certaine façon sociocritique d’Henri Espieux laisse apercevoir l’historien de l’Occitanie qu’il deviendra. Godolin lui inspire des considérations personnelles sur la renaissance des lettres d’oc dans un contexte de francisation des élites. Il voit dans cette œuvre poétique et dans le mouvement qu’elle a influencé une posture de résistance à l’idéologie dominante : « La condicion literaria occitana es pas constituïda que de varlets e d’oportunistas » [La condition littéraire occitane n’est pas faite que de valets et d’opportunistes]. p. 31.

42 « Lo veu dau temple », Oc 174, octobre 1949, p. 13-19. La réalité historique de l’Occitanie lui apparaît comme cyclique et difficile à définir autrement que comme « una realitat que supera barbarias e civilisacions » et qui n’existe que « dins la carn, dins lis omes e dins li causas e non pas dins lis institucions ».

43 Claire Torreilles, « Les premières anthologies occitanes et l’ouverture d’un champ littéraire », in P. Gardy et M-J Verny, Max Rouquette et le renouveau de la poésie occitane, Montpellier, PULM, 1997. p. 311-327.

44 Espieux cite la fin de « Sègas » de Léon Cordes : « lo temps sentis a batre / l'aire sentis a gran », Leon Còrdas, Òbra poetica, IEO edicions, 2020, p. 73. Poème initialement publié dans l'ase negre, « Segas », n° 10, junh 1947et dans Oc, n° 187, 1953, « Sega », p. 23 et dans Branca Tòrta, Messatges, 1964, p.4-7. Nos remerciements à Françoise Bancarel pour ces précieuses indications bibliographiques.

45 « testimoniar d’una vida multipla que vol naisser e escandilhar » [témoigner d’une vie multiple qui veut naître et rayonner] ; « Messatges de la realitat occitanista e non pas Messatges de personalitats » [Messatges de la réalité occitaniste et non pas Messatges de personnalités]. Lettre de Castan recopiée par H.E. s. d.

46 Publié dans Oc n° 179, janvier 1951, p. 29-33.

47 « Ara ai un grand servici a te demandar : poirias me netejar la grafia ? » [J’ai maintenant un grand service à te demander : pourrais-tu me nettoyer la graphie ?] Lettre du 8 décembre 1952 à R. L.

Premières poésies (titre 1)

Premières poésies (titre 1)

Trois poèmes insérés dans la première lettre d’HE à RL du 28/02/1947

Archives Robert Lafont, CIRDOC – Institut occitan de cultura

« Lo vent que s’enarca »

« Lo vent que s’enarca »

L’ase negre, avril 1947

Claire Torreilles

Chercheuse associée, Univ Paul Valéry Montpellier 3, ReSO EA 4582, F34000, Montpellier, France

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