Max Rouquette, Somnis de la nuoch (1942)

Jean-Guilhem Rouquette

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Jean-Guilhem Rouquette, « Max Rouquette, Somnis de la nuoch (1942) », Plumas [Online], 1 | 2021, Online since 28 September 2021, connection on 19 April 2024. URL : https://plumas.occitanica.eu/278

Après le premier recueil de poèmes Sòmnis dau matin, imprimé à Barcelone en 1937, en pleine guerre d'Espagne, et avant La pietat dau matin, Messatges n° 32, paru en 1963 et édité par l'IEO, Sòmnis de la nuòch est édité le 30 octobre 1942 dans la collection poétique Messatges, tiré à 300 exemplaires, et publié sous les auspices de la Societat d'Estudis Occitans par la direction de la revue OC dont le Président est Ismaël Girard. Il constitue le troisième numéro de la collection.1

La nuit de ces songes fait-elle allusion à la période noire que traverse la France, alors que Max Rouquette est médecin de campagne à Aniane, dans la Vallée de l'Hérault ? Peut-être, en effet, quelques allusions fugitives sont-elles présentes dans le poème « Auba » « Aube » (p. 9), où « Lentas au vent dau matin / las erbas se derevelhan » / « Lentes au vent du matin / les herbes se réveillent », ou encore dans « Calabrun » / « Crépuscule » (p. 13), avec cette « patz, lusor d’esper lonhtàn » / « paix, lueur d'espoir lointain » ? Un poème de cette période, mais publié beaucoup plus tard dans La pietat dau matin, « Non sabe… » / « Je ne sais… » marquera la détresse de l'heure. Une lettre de 1941 d'Ismaël Girard à Max Rouquette, retrouvée récemment, révèle que ce dernier voulait s'engager à ses côtés dans la Résistance au nazisme, mais Girard, désireux d'épargner les rares forces vives occitanistes, lui proposera une forme de résistance civile elle aussi nécessaire au combat commun.

La nuit est la matrice des songes. Philippe Gardy écrit, dans sa préface à la réédition en 2019 des Psaumes de la nuit (p. 10) : « Le matin indique le moment de l'éveil, la nuit celle des explorations inconscientes ; ils gouvernent le déroulement de l'écriture poétique. Le songe (…) est une promenade sur le fil des limites, entre nuit et jour, clarté et ténèbres, réel et imaginaire ». Cette poétique de l'entre-deux fait croître dans l'esprit du lecteur ce que Max Rouquette nomme « l'èrba dels sòmis » / « l'herbe des songes2 ».

Dans sa préface à l’édition 2019 (p. 9), Philippe Gardy voit dans l'alliance du poète catalan Joseph-Sébastien Pons, « à l'affût des appels discrets du monde immédiat » et de Lorca « chantre ardent aux images audacieuses », inspiré par le surréalisme, « ce qui a donné aux poèmes leur résonance particulière et les a conduits sur le chemin des Songes ». Pons avait été le professeur d'espagnol de Max Rouquette au Lycée de Montpellier, et a marqué profondément ses débuts poétiques. Lorca, Max Rouquette l'avait découvert vers la fin des années 30, et il avait commencé à traduire en oc le Romancero gitano3.

La danse de la lune et du crapaud, dans « Lo sabaud » est d'inspiration ponsienne, mais quand, dans le poème « Cançon » / « Chanson », la lune fait danser la feruna, la sauvagine, c'est la voix propre du poète d'oc qui s'exprime :

ai trobat la luna
que fasiá dansar
tota la feruna
au mitàn d’un clar
(p. 19)

j’ai trouvé la lune ;
donnait à danser
à la sauvagine
au milieu d’un pré (p. 18)

Le premier poème, « Aucels » / « Oiseaux » (p. 5), est fait de quatre quatrains qui saisissent, comme dans un flash, les oiseaux, qui hantent la mémoire et le silence. Les oiseaux, images de liberté, reviennent souvent dans les poèmes ; oiseaux de « Avent » / « Avent » :

Peira dura que la terra
trai de cops contra lo cel
(p. 31)

pierre dure que la terre /
lance parfois vers le ciel (p. 30).

Oiseaux dans « Los aucels qu'ai crosats… » / « Les oiseaux que j’ai croisés » (p.22), qui est la chanson du « còr romieu », « le cœur pèlerin » :

Sempre, sempre, mon còr camina
romieu que non sap lo repaus
dins la comba de ma peitrina
etèrne romieu jot un cèl
traversat d'abséncia d'aucel
(p. 25)

Toujours, toujours, mon cœur chemine
pèlerin ignorant le repos
dans la combe de ma poitrine
éternel pèlerin sous un ciel
traversé d'absence d'oiseau. (p. 24)

Le sixième poème qui est la première « Cançon » rend grâce au retour des sources après les feux de l'été :

Las fontetas son tornadas
[…]
per la set de la feruna
e lo repaus de l'aucel
per la set del grand tropel
(p. 15)

Les sources sont revenues
[…]
pour la soif des sauvagines
et le repos de l'oiseau
pour la soif du grand troupeau (p. 14)

Le poème « Oblit » vient en écho à la nouvelle « Cendra mòrta », un récit de Verd paradis II4, écrit après sa visite comme médecin à un jeune malade mental qu'il va chercher dans le mas de l'Estagnol, perdu au-dessus de la Val d'Hérault ; récit d'un abandon du mas par la famille qui suit le malade, et qui figure aussi l'abandon d'un monde et d'une civilisation :

ostau perdut ont lo vent sol
buta la porta
o darrier pas sus lo lindau
o cendra morta
(p. 7-9)

maison perdue où le vent seul
pousse la porte
o dernier pas dessus le seuil
o cendre morte (p. 6-8)

« Larzac », autre poème de l'abandon, a été écrit après la vision, sur le Causse, d’une brebis blessée et abandonnée, ce qui avait fortement ému le poète. Le poème « Nívols » / « Nuées » (« Nues » dans la traduction de la collection Messatges), est la vision crépusculaire d'un passé de légende et d'une ombre à l'épée dressée dans le vent sauvage :

lo vent que sarra los vaisseus
per los envous de l’auba ;
(p. 21)

le vent qui groupe les vaisseaux
pour les envols de l'aube ; (p. 20)

Le passé y est une « nuit sans étoiles » » / « nuoch sens estela ». Même si dans un autre poème

D'estelas mortas van encara caminant
avuglas dins la nuoch dau monde
(p. 27)

Des étoiles mortes vont encore cheminant
aveugles dans la nuit du monde (p. 26)

Ces étoiles sont une « ombra enveirenta entre los fuocs del cel » / « ombre invisible entre les feux du ciel », en quête de l'antique clarté de leurs sources. Et le dernier poème, « Ço que cerque… » / « Ce que je cherche… » est encore celui d'une quête, celle du dépouillement et de la clarté des feux de la nuit :

Ço que cerque, Senhor, en fora
de tas flors e de tos aucels
es lo desert, es la mar granda
enauçada encar de ta man ;
es lo monde nus de tas aubas…(p. 33)

Seigneur, ce que je cherche, en dehors
de tes fleurs et de tes oiseaux
c'est le désert, c'est la mer grande
soulevée encore par ta main ;
C’est le monde nu de tes aubes…
(p. 32)

Max Rouquette vers 40 ans

Max Rouquette vers 40 ans

Archives familiales, Jean-Guilhem Rouquette

1 L’ouvrage a connu deux rééditions bilingues : en 1984, aux éditions Obsidiane, Paris, sous le titre Les psaumes de la nuit, regroupant Sòmis dau

2 Texte présent dans Lo corbatàs roge, Perpignan, trabucaire, 2003, p. 139.

3 Traduction rééditée par Philippe Gardy, Letras d’òc, 2009, de même que Poèma dau Cante Jondo, seguit de Planh per Ignacio Sánchez Mejías et de Divan

4 La première édition de Verd Paradís 2 date de 1974 (A Tots, IEO). L’ouvrage vient d’être réédité (Toulouse, Letras d’òc, 2021), avec une postface

1 L’ouvrage a connu deux rééditions bilingues : en 1984, aux éditions Obsidiane, Paris, sous le titre Les psaumes de la nuit, regroupant Sòmis dau matin, Sòmis de la nuòch et La Pietat dau matin, et en 2019, sous le titre Los Saumes de la nuòch / Les Psaumes de la nuit, préface de Philippe Gardy, Gardonne, Fédérop, coll. Paul Froment, 2019. Les références des textes sont celles de la première édition, nous avons donc respecté la graphie de l’époque qui a ensuite été modifiée.

2 Texte présent dans Lo corbatàs roge, Perpignan, trabucaire, 2003, p. 139.

3 Traduction rééditée par Philippe Gardy, Letras d’òc, 2009, de même que Poèma dau Cante Jondo, seguit de Planh per Ignacio Sánchez Mejías et de Divan dau Tamarit, Letras d’òc, 2010.

4 La première édition de Verd Paradís 2 date de 1974 (A Tots, IEO). L’ouvrage vient d’être réédité (Toulouse, Letras d’òc, 2021), avec une postface précieuse de Philippe Gardy. La nouvelle « Cendra mòrta » se trouve en page 27. Une traduction française d’Alem Surre-Garcia se trouve dans l’ouvrage Vert Paradis [volumes 1 et 2], présenté par Jean Carrière, Les Éditions de Paris, p. 146. Cette traduction a été rééditée par Actes Sud en 2012.

Max Rouquette vers 40 ans

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Jean-Guilhem Rouquette

Responsable de la publication de la revue Les cahiers de Max Rouquette