Une entrée en poésie : Paraulas entà tròç de prima de Xavier Ravier (1954)

Philippe Gardy

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Philippe Gardy, « Une entrée en poésie : Paraulas entà tròç de prima de Xavier Ravier (1954) », Plumas [En linha], 1 | 2021, Mes en linha lo 15 juillet 2021, Consultat lo 20 avril 2024. URL : https://plumas.occitanica.eu/126

Le recueil de Xavier Ravier Paraulas entà tròç de prima (« Paroles pour un morceau de printemps »), publié en 1954 dans la collection Messatges, fait partie des titres de cette collection que l’on peut considérer comme des unica. Pourtant cette entrée en poésie (occitane) unanimement saluée en son temps par la critique ne fut pas à proprement parler un feu de paille : avant et après cette date, Xavier Ravier (1930-2020) fut rédacteur en chef de la revue Oc, où il se révéla aussi comme un critique littéraire avisé. Par la suite, lecteur assidu de poètes qu’il aimait (René Nelli, Delfin Dario, Joë Bousquet, Rilke, Hölderlin, Machado, Claude Vigée…) dans des langues qu’il pratiquait avec ardeur, allant jusqu’à en traduire inlassablement certains, il ne cessa jamais de prolonger en poésie l’élan signifié dans ce premier recueil, en français surtout mais encore et aussi en occitan, son gascon natal des collines gersoises comme le languedocien du Lauragais. Deux anthologies dans des ouvrages collectifs ainsi qu’un choix récapitulatif de poèmes (D'eau, de terre, de parole) en 2002 témoignent d’une fidélité sans faille aux engagements de sa jeunesse et de la longue et ferme présence d’une parole ininterrompue, en écho original à celle de ses maîtres et inspirateurs.

Lo recuelh de Xavier Ravier Paraulas entà tròç de prima, publicat en 1954 dins la colleccion Messatges, fa partida dels títols d’aquela colleccion que podèm considerar coma d’unica. Pasmens aquela entrada en poesia (occitana) unanimament saludada en son temps per la critica non foguèt un fuec de palha : avant e aprèp aquela data, Xavier Ravier (1930-2020) foguèt cap-redactor de la revista Oc, ont se revelèt tanben coma un critic literari avisat. A la seguida, lector dels poètas qu’aimava (Renat Nelli, Delfin Dario, Joë Bousquet, Rilke, Hölderlin, Machado, Claude Vigée…) dins de lengas que praticava amb ardor, se fasent de còps reviraire per d’unes, non quitèt jamai d’esperlongar en poesia l’envam significat dins son primièr recuelh, en francés subretot mai tanben e encara en occitan, son gascon natal de las còlas de Gers coma lo lengadocian del Lauragués. Doas antologias dins d’obratges collectius tan coma una causida recapitulativa de poèmas (D'eau, de terre, de parole) en 2002 testimònian d’una fidelitat totala als engatjaments de sa joinessa e de la longa e ferma preséncia d’una paraula sens rompedura, en resson original amb aquela de sos mèstres e inspirators.

Xavier Ravier's collection Paraulas entà tròç de prima (Worlds for a Bit of Spring), published in 1954 in the collection 'Messatges', is one of the titles in this collection that can be considered an unicum. This entry into (Occitan) poetry, unanimously acclaimed by critics at the time, was not a flash in the pan: before and after this date, Xavier Ravier (1930-2020) was editor-in-chief of the journal Oc, where he also proved to be an astute literary critic. He was an assiduous reader of the poets he loved (René Nelli, Delfin Dario, Joë Bousquet, Rilke, Hölderlin, Machado, Claude Vigée...) in languages he practiced with ardor, going so far as to translate some of them tirelessly; he continued to extend the impetus felt in his first poetry collection, mostly in French, but also in Occitan, his native Gascon of the Gers hills as well as in the Languedocien of the Lauragais. Two collections in anthologies as well as a cumulative collection of poems (D'eau, de terre, de parole) in 2002 testify to an unfailing fidelity to the commitments of his youth and to the long and firm presence of an uninterrupted voice, original echoes of his masters and inspirations.

Il existe dans la liste des recueils1 publiés par la collection « Messatges » quelques unica. Certains n’en sont pas vraiment : l’œuvre poétique s’est poursuivie (ou commencée) ailleurs, autrement, en occitan ou en français. D’autres cependant semblent en être pour de bon : aucun recueil n’a suivi ni précédé celui publié dans la collection, ou alors bien plus tard. C’est le cas, sauf erreur de ma part, du volume Los espers e los jorns (n° 18, 1955), signé par Marcel Barral, éminent grammairien montpelliérain, commentateur érudit de l’abbé Fabre, éditeur des œuvres de son compatriote du XVIIe siècle Jacques Roudil (dont Claire Torreilles a donné en 2020 une nouvelle édition, plus complète et plus alléchante2), etc. C’est aussi le cas du recueil de Susana Vincens (pseudonyme d’Andrée-Paule Lafont, auteure notamment, en 1962, d’une toujours indispensable anthologie de la poésie occitane préfacée par Louis Aragon) : Lis uelhs e son reiaume (n° 22, 1956). Ou encore de celui de Pierre Lagarde, Espèra del jorn (n° 13, 1953) : si Lagarde a continué de publier en occitan, ce sont des textes en prose qu’il a livrés à l’impression.

On peut, pour la même période, celle des années 1950-1960, ranger dans cette catégorie des unica le recueil de Xavier Ravier publié en 1954 sous le n° 16, Paraulas entà tròç de prima. Ce titre (48 pages), que l’on traduit la plupart du temps en français par Paroles pour un morceau de printemps3, n’a en effet été suivi d’aucun autre dans cette langue, et d’un seul et unique, très tardivement (une cinquantaine d’années après), en français. Il a cependant été salué à plusieurs reprises en 1955 dès sa parution (l’achevé d’imprimer porte la date du 24 décembre). Dans la revue Oc, qui était l’éditrice du recueil, le jeune directeur littéraire de la collection, Henri Espieux, qui avait lui-même publié à l’enseigne de « Messatges » son premier recueil poétique, Telaranha, en 1949 (n° 7), se chargea en personne, chose assez inhabituelle, d’en proposer une recension détaillée4. Espieux précisait dès les premières lignes de celle-ci qu’il avait auparavant rédigé un « prière d’insérer » destiné à présenter le recueil de Ravier5, prière d’insérer dont il affirmait reprendre l’essentiel dans les premiers paragraphes de son compte rendu.

Oc, n° 196, prima de 1965.

Oc, n° 196, prima de 1965.

C’est Xavier Ravier, alors rédacteur de la revue, qui inaugura la publication, en tête de chaque numéro, de portraits ou de photographies de groupe d’écrivains occitans.

Revue Oc

On pourrait être tenté de soupçonner quelque complaisance dans cette façon de procéder. Mais on peut aussi penser qu’il n’en a rien été, quelle qu’en ait été l’explication factuelle : Henri Espieux, comme le laisse entendre Yves Toti dans les paragraphes qu’il a consacrés à ce compte rendu, désire avant tout faire partager l’enthousiasme (ce sentiment est une composante importante de sa personnalité) qui s’est emparé de lui à la lecture d’un recueil dont il veut souligner la nouveauté de ton et d’inspiration. Espieux, d’ailleurs, ne fut pas le seul, alors, à remarquer favorablement l’entrée en poésie occitane, et en poésie tout court, de Ravier. Robert Lafont, par ailleurs ami et contemporain d’Espieux6, est depuis 1953 le titulaire d’une chronique, « Lettres d’Oc », dans la prestigieuse revue marseillaise Les Cahiers du Sud7. Régulièrement, il y présente les nouveautés concernant la littérature occitane, qu’il s’agisse de travaux scientifiques ou critiques et, surtout, des créations contemporaines. La collection « Messatges » est souvent présente, avec, de la part de Lafont, un double souci : faire connaître les nouveaux talents aux côtés des auteurs déjà confirmés ; procéder, pour les plus jeunes, et surtout s’ils lui paraissent prometteurs, à un examen critique, à la fois bienveillant et sévère, de leur production. Le recueil de Ravier n’échappe pas à cette sorte d’examen de passage, dès le numéro 329, de juin 1955, de la revue dirigée par Jean Ballard (p. 137-141). La première partie de cette chronique est consacrée à deux volumes de la collection « Les classiques d’oc » publiée par l’éditeur avignonnais Aubanel : celui sur Bellaud de La Bellaudière, par Auguste Brun ; et la Petite anthologie de la lyrique occitane au Moyen Âge composée par Pierre Bec. La seconde partie évoque deux recueils récents, l’un du poète wallon Albert Maquet et du Provençal Henri Espieux, préfacé par René Nelli, Luire dans le noir (Paris, Pierre Seghers) ; et, donc, celui de Ravier, auquel Lafont (qui traduit quant à lui le titre occitan par Paroles pour un bout de printemps) dédie une page entière. Pour le critique, en résumé, Ravier, poète prometteur dont « on peut attendre beaucoup » ne se paie pas de mots, lui qui « a déjà tant à dire, en ne disant pas trop ». À cet égard, on note que Lafont est à la fois moins sévère et plus laudateur qu’avec certains de ses émules, par exemple Yves Rouquette ou Serge Bec. Pour lui, Ravier a trouvé un équilibre qui lui est propre, entre d’un côté, « une belle masse émotive » et, d’un autre, « un paysage vraiment essentiel ». Une citation, en français, d’une pièce complète d’une dizaine de vers vient judicieusement à l’appui de ces considérations par force assez générales8.

Lafont, sans doute parce qu’il songe en premier lieu aux lecteurs de poésie française des Cahiers du Sud, ne cherche pas à aller plus avant dans l’analyse de l’écriture poétique de Ravier, contrairement à ce qu’avait voulu faire Henri Espieux dans la recension qu’il avait publiée dans Oc. Ce dernier insistait, entre autres thèmes, sur deux points qui, le temps ayant passé, semblent essentiels. Le premier concerne la présence ou l’influence du surréalisme dans la poésie de Ravier. Ce thème était et demeura assez longtemps un sujet de discussion parmi les écrivains d’oc. Y avait-il (eu) un surréalisme occitan, et si oui, quelles pouvaient en être les éventuelles singularités ? Nelli, proche parmi les proches de Joë Bousquet, par ailleurs lié, autrement, à Breton, était-il le ou un des représentants de cette version occitane (comme il y avait par exemple un surréalisme belge) d’un mouvement par ailleurs très divers et traversé de multiples querelles ? On prononçait aussi le nom de Jòrgi Reboul9, un long temps disciple (indiscipliné !) de Sully-André Peyre, l’animateur de Marsyas avec Denis Saurat, jusqu’au jour où ce dernier se sépara des engagements mistraliens sans concession de son compère. Espieux, pour sa part, voyait plutôt en Ravier un hérétique (de plus!) qui se détournant du

subre-realisme classic que s’es enfangat dins li paluns de l’inconscient personau, saup trobar li gasas que —pèr lo mejan de l’ensenhament de nòstre folclòr— s’encaminan vers lo terraire estranh e miraclant de l’inconscient collectiu. (p. 139)

du surréalisme classique qui s’est embourbé dans les marécages de l’inconscient personnel, il sait trouver les passages à gué qui, grâces aux enseignements de notre folklore, mènent jusqu’aux territoires étranges et propices aux miracles de l’inconscient collectif.

Ces réflexions entraînent Espieux vers ce qu’il considère comme l’une des sources du surréalisme : le « Romantisme germanic que lo definiguèt l’Aubèrt Beguin10 ». La référence au grand livre du Suisse Albert Béguin, L’âme romantique et le rêve, essai sur le romantisme allemand et la poésie française11, conduit Espieux à définir ce qui fait pour lui la deuxième singularité de la poésie de Ravier : son enracinement dans une culture germanique qui le rapproche d’autres poètes occitans de Gascogne, tels que Delfin Dario12 (Ismaël Girard), Bernard Manciet ou Pierre Bec, lecteurs, comme lui, aussi bien de Rilke que d’Hölderlin. Espieux va même, d’ailleurs, jusqu’à proposer une sorte de sororité profonde entre la Gascogne et certaines parties des pays de langue allemande :

Is aurelhas d’un provençau que siáu, la fonetica gascona restontís prigonda, rufa e cantarèla coma la votz dis òmes dau miegjorn d’Alemanha, de Baviera, d’Austria, d’aquela Austria d’un Rilke

Aux oreilles du Provençal que je suis, la phonétique gasconne résonne, profonde, rude et chantante, telle la voix des hommes du sud de l’Allemagne, de Bavière, d’Autriche, de l’Autriche d’un Rilke…

La généalogie dressée par Espieux esquissait ainsi le portrait d’un Ravier écrivain, ou plutôt poète, en le situant dans une lignée dont René Nelli, qui venait tout juste de publier son grand œuvre lyrique, Arma de vertat13, serait comme la vivante et remarquable synthèse. C’est d’ailleurs avec Nelli que Ravier inaugura sa collaboration à Oc, dont Félix Castan était encore le rédacteur en chef, en publiant (n° 189, julhet de 1953, 45-53) une assez longue étude : « Poesia e poetica : Arma de vertat ». Cette étude était précédée d’une méditation d’Espieux sur le même thème, dont les premiers mots donnaient le ton avec un parfum de mystère : « Quau siatz, Nelli ? M’escapatz e nos escapatz. Escapatz en toti, en totis aqueli que lis avètz saput pivelar » [Qui êtes-vous, Nelli ? Vous m’échappez et vous nous échappez. Vous échappez à tous, à tous ceux que vous avez su fasciner] …

Et c’était sur les traces de ce Nelli là, poète et poéticien, que Ravier, dans ce même numéro d’Oc, commençait à marcher : à ses réflexions sur Arma de vertat, il joignait un bref ensemble poétique (deux pièces, sous l’intitulé « A la terra noviala », plus une, « Quan tornes ») qui allait prendre place peu de temps après dans Paraulas entà tròç de prima.

Paraulas entà tròç de prima est précédé par une préface en prose d’une page, dépourvue de titre, datée de « Labatut-Rivière, 6 avril 195314 ». Ce texte, comme c’est souvent le cas, a dû être rédigé alors même que le recueil entier, ou en tout cas sa quasi-totalité, étaient déjà composés : « Qu’aurí volut dens aqueth libret » [J’aurais voulu dans ce petit livre]… Il s’agit en effet, d’une sorte de bilan, d’un regard jeté par-dessus l’épaule du poète, comme on se penche sur un temps déjà écoulé mais dont l’écrit, et singulièrement l’écriture, au sens prégnant du mot, ont conservé vives, et plus encore magnifié, les émotions et les sensations. On découvre dans cet exercice de dédoublement le Ravier poète et commentateur, de l’intérieur, des poètes. En quelques paragraphes, dans un langage qui prolonge, au cours de cet exercice d’explicitation, celui des poèmes eux-mêmes sans en rien le trahir, Ravier développe ce qu’est pour lui le poème, vécu puis écrit, un « débris » (tròç) là où le poète cherche le permanent (on cerca lo permanent), « deu dia a la nueit, d’ua sason a l’auta, shens poder tornar en darrèr » [du jour à la nuit, d’une saison à l’autre, sans pouvoir revenir sur ses pas]. La fin de ce beau texte propose une réflexion sur le choix du gascon-langage pour recueillir ces débris : à la fois langue de l’intimité, et aussi langage qualifié par certains de « mâle » et de « direct » (en gascon sancèr), toutes qualités qui permettent d’« exprimer tout ce que contient l’âme d’un homme: pensées et sentiments » (tot çò que j’a diguens l’amna d’un òme, pensadas e sentiments).

On aura compris que ce propos liminaire nous aide, lecteurs, à déchiffrer dans son plein le titre du recueil : aux propositions de traduction que nous avons pu relever (morceau, morceaux, bouts), Ravier avait répondu par avance en suggérant le sens plus « plein » de débris15, qui nous oriente vers l’idée d’une brisure, voire d’une chute. Une conception pour l’essentiel météoritique du poème

Jusqu’à la publication de son recueil, aux derniers jours de 195416, puis au-delà de cette date, Ravier donna à Oc plusieurs ensembles poétiques qui apparaissent rétrospectivement comme autant de points de repère dans la chronologie de son écriture poétique naissante. Les trois poèmes que l’on peut lire dans le numéro 189 d’Oc ont été intégrés tels quels dans Paraulas entà tròç de prima : le diptyque « A la terra noviala17 » en constitue l’ouverture générale, tout en étant aussi celle de ce que l’on peut considérer comme la première partie du recueil : « Deu desvelh dinc’a era18 ». La troisième pièce, intitulée « Quan tornes19 », figure aussi dans le recueil, mais à une autre place (p. 16-17), sans titre. Ce sont les seules « pré-publications » du livre à venir dans Oc. Dès le n° 191 (jenèr de 1954, 22-24), Ravier propose une suite de courtes pièces, Peus parsans deus grans vius20, datées de « Pandèr, lo 5 d’octòbre de 195321 », donc plusieurs mois après l’écriture du texte en prose qui sert de préface au recueil. À trois reprises encore Ravier intervint comme poète dans la revue. Le n° 199 (genier-febrier-març de 1956), à l’initiative d’Yves Rouquette, proposait un dossier sous le titre « Los joves autors occitans se presentan ». Ravier y était logiquement présent aux côtés, notamment, de Serge Bec, Pierre Pessemesse et Yves Rouquette lui-même, avec un poème, « Legenda tà ua plaça de dançar ». Dans le n° 200 (abril-mai-junh de 1956), une autre brève anthologie poétique était proposée aux lecteurs de la revue. Celle-ci regroupait des auteurs déjà confirmés (Max Allier, René Nelli, Jean Mouzat, mais aussi Henri Espieux, Bernard Lesfargues, Robert Lafont, etc)… Ravier y publiait deux très brèves proses poétiques, « Arreproèrs de la lutz nosta », et un poème de treize vers en deux strophes, « Devís de la terra22 » (p. 111).

Ravier, par la suite, ne semble pas avoir donné à Oc de poèmes en occitan, ni d’ailleurs d’autres textes. Avait-il continué à écrire dans cette langue, rien ne permet de répondre à cette question. Mais une incidente de René Nelli, dans son anthologie de la poésie occitane attire l’attention : « Depuis la parution de Paraulas entà tròç de prima il semble s’être éloigné de la poésie pour se consacrer uniquement à ses recherches scientifiques » (Nelli 1972, 300). Nelli, l’un des dédicataires du recueil de 1954, écrivait sans doute cela en connaissance de cause. Ce qui ne l’avait d’ailleurs pas empêché, dans un ouvrage de dimensions restreintes présentant la poésie occitane « des origines à nos jours », d’accorder une place à Ravier (trois pages pour deux poèmes).

Page de garde de Paraulas entà tròç de prima.

Page de garde de Paraulas entà tròç de prima.

Dessin signé Jaume Doble

Retour sur le recueil de 1954

Paraulas entà tròç de prima marqua l’entrée en poésie occitane et, plus largement, en « occitanisme », de Xavier Ravier. Ses collaborations à Oc, pendant la période, assez brève, où il occupa la fonction de rédacteur en chef de la revue, ne furent pas seulement poétiques, au sens strict du terme. Il s’intéressa, comme critique, on l’a vu, à d’autres écrivains : Pierre Lagarde, dont il présenta avec un esprit fraternel le recueil Espèra del jorn ; René Nelli, auquel il consacra un long article ; mais aussi Michel Camelat, dont il célébra l’œuvre, et en particulier le poème épique Morta e Viva, à l’occasion de la « Jornada Miquèu Camelat » le 30 mai 1955 devant la pierre commémorative de la bataille de Muret, en compagnie du président de l’Institut d’Études occitanes, Max Rouquette. Le discours qu’il prononça alors, comme celui de l’auteur des Somnis dau matin, figure dans le n° 187 (estiu de 1955, 101-103) d’Oc. Mais c’est toujours vers les poètes et la poésie qu’une pente naturelle le ramenait. Une de ses collaborations les plus remarquables à Oc, ainsi, fut un article intitulé « Glòsas » (n° 196, prima de 1954, 84-87), dans laquelle il s’interrogeait sur ces moments où, chez les poètes, « lo besonh de vertat pren la plaça tà l’autor deu besonh d’expression » [le besoin de vérité prend pour l’auteur la place du besoin d’expression]. Ravier développait cette idée en prenant comme exemples deux poètes qu’il appréciait déjà tout particulièrement : Rainer Maria Rilke et ses Quatrains valaisans, et davantage encore Antonio Machado et ses Campos de Soria23. Pour lui, ce saut décisif trouvait son origine dans « la descoberta e l’eleccion d’un païsatge : las montanhas deu Valais, per l’alemàn (que i acabèc sa vita), las còstas e los tucs de Sòria per l’espanhòu » [la découverte et l’élection d’un paysage : les montagnes du Valais pour l’Allemand (qui acheva là sa vie), les coteaux et les collines de Soria pour l’Espagnol]. Dans la suite de son étude, Ravier proposait une évocation détaillée de la façon dont le poète espagnol avait ressenti et retranscrit, avec une grande économie de moyens, ce paysage d’élection, sans cependant trouver là le prétexte, comme chez Unamuno, à en faire l’expression d’une pensée empreinte d’une certaine rhétorique nationaliste.

Ces méditations à propos du paysage, de sa perception puis de sa transposition en vérité poétique, étaient exactement contemporaines de l’entrée de Ravier en écriture occitane: pour lui, à n’en pas douter, la Gascogne de ses origines, réalité vécue et intensément ressentie, devenait, en ce début des années 1950, le lieu privilégié d’une expression poétique pour laquelle le sentiment du paysage et celui de la langue de ce paysage, faisaient naître le poème, loin des rêveries identitaires dont Ravier trouvait alors la trace aussi bien chez Unamuno que, parfois aussi, chez Mistral et certains de ses successeurs. Paraulas entà tròç de prima était le livre qui avait nourri cette réflexion ou dont cette réflexion avait favorisé la naissance. Et probablement les deux, tant chez Ravier déjà, et pour longtemps, poésie et méditation sur la poésie étaient unies, au-delà des langues, ne fût-ce que par cette nécessité de la traduction, toujours à reprendre et à prolonger, et dont il ne cessa jamais d’explorer les cheminements chez les poètes qu’il lisait et relisait. Une phrase d’apparence anodine, dans la page que Ravier écrivit en guise de clôture à l’anthologie réunie et présentée par Yves Rouquette dans le numéro 199 d’Oc, résume bien tout cela : « Çò que compta sustot, qu’es de realizar, l’union de la lenga e deu lengatge: atau ac avem volut, nosautes24 » [Ce qui compte avant tout, et qu’il convient de réaliser, c’est l’union de la langue et du langage : nous, c’est ce que nous avons voulu].

L’amour, la poésie : on pourrait, au prix d’un léger détournement du titre du recueil d’Éluard, voir dans Paraulas entà tròç de prima la mise en œuvre de cette formule qui unit tout en les séparant ces deux composantes de l’écriture poétique. La première partie du recueil, « Deu desvelh dinc’a era », célèbre l’union du pays et de sa langue sous le signe de l’amour : le recueil est dédié, d’abord, « Entà Mishèta, per qui tot tornèc començar25 ». Chacun des poèmes qui composent cette célébration prend la forme d’une capture du temps forcément destructeur qui, d’un seul mouvement, rend possible et déjà menace de faire disparaître cette unité profonde, presque magique. Ce qu’Andrée-Paule Lafont, dans son anthologie, avait décrit avec beaucoup de justesse quand elle notait : « Xavier Ravier, pour un premier recueil qui doit beaucoup à René Nelli, a écrit de très beaux poèmes où luttent dramatiquement l’angoisse et la grâce de vivre » (Lafont Andrée-Paule 1962, 274). Paysage des mots, paysage des émotions et paysage de l’amour s’y rejoignent, s’y confondent et de la sorte s’y éternisent tout naturellement.

Le nom de Nelli nous conduit à évoquer les dédicataires du recueil, comme de plusieurs des poèmes qui le composent. À côté de Nelli, figure Ismaël Girard, l’un des fondateurs d’Oc au début de années 1920. Gascon, comme Ravier, Girard26 figure sans aucun doute comme animateur de la mouvance occitaniste depuis de nombreuses années déjà. Il est alors le directeur d’Oc et le créateur de « Messatges », avec Nelli. Mais Girard était aussi, discrètement, poète, sous le nom de Delfin Dario27. Son unique livre de poésie publié ne devait cependant voir le jour qu’en 1960, mais certains des poèmes qui y sont inclus avaient été imprimés dans plusieurs livraisons de la revue Oc entre 1940 et 1950. Parmi ceux-ci, l’un porte le titre de Signes28, titre qui fut finalement retenu pour le recueil de 196029. Et, simple coïncidence ou davantage, le recueil de Ravier est lui aussi un livre des signes, comme l’indique avec la force des répétitions le deuxième volet de la pièce inaugurale, « A la terra noviala ». Retenons-en les derniers vers :

Peus signes d’aqueth païs
legeishi tots-temps peu prumèr còp
l’alfabet de la tua image.
Peus signes d’aqueth païs
 !

Par les signes de ce pays
je lis toujours pour la première fois
l’alphabet de ton image.
Par les signes de ce pays ! 

À ce duo, il faut ajouter le nom du troisième dédicataire, Loïs Doble (Louis Double), ami très proche de Ravier à n’en pas douter : au moment même où ce dernier faisait son entrée dans Oc, comme poète, critique et rédacteur de la revue, Louis Double apparaissait aussi bien parmi les membres du conseil d’administration de l’Institut d’Études occitanes (son nom figure à l’organigramme de l’association entre, ordre alphabétique oblige, ceux de Charles Camproux et d’Ismaël Girard). Il était aussi, autour de 1954, secrétaire de rédaction des Annales de l’Institut d’Études occitanes, publication dont Nelli était alors le directeur, et Charles-Pierre Bru le rédacteur en chef30. Un autre Double, prénommé Jaume (Jacques), joue un rôle non négligeable dans la publication de recueil de Ravier : il est l’auteur du dessin qui ouvre le livre et qui peut en être considéré comme le miroir graphique.

Nelli et Girard sont des proches, par leur langue d’écriture, l’occitan, languedocien ou gascon, comme sont des proches d’autres dédicataires. Au nom de Jacques Allières31, déjà mentionné, il faut adjoindre celui de Jean Séguy, le linguiste dialectologue toulousain dont Allières, comme Ravier, fut le disciple32. Un poème lui est dédié, « Dabuns sers diguens vilatges33 » [Certains soirs dans des villages]. Le poète Frédéric Maigné, familier des colloques et rencontres de Montauban, est également présent34, ainsi que le philosophe Charles-Pierre Bru, « pensaire de l’occitanisme » (« Devís d’un espaventau » / « Dit d’un épouvantail », p. 36-37), comme l’indique la dédicace, mais aussi peintre et analyste de la peinture35. Parmi les « alliés substantiels » du poète Xavier Ravier, on relève encore les noms de Pierre Laulom, dédicataire de « Cançon de la dança deu temps » (« Chanson de la danse du temps »), et de Loïs Doble (Louis Double), qui figure à la suite de Nelli et de Girard dans la dédicace initiale.

Les noms de Laulom et de Bru apparaissent dans la seconde partie du recueil. Celle-ci peut être divisée en trois brèves sections : d’abord celle intitulée « Dança deu temps » (« Danse du temps »), qui comprend un « tableau » de cette danse, puis une « chanson » liée à celle-ci ; une deuxième section, « Espaventau » (« Épouvantail »), également composée de deux pièces (un « dit », puis une « plainte »). Ces deux tableaux en diptyques à la fois se suivent et se font écho. Tout en eux évoque ce combat dramatiquement mis en scène entre « l’angoisse et la grâce de vivre », pour reprendre la formule d’Andrée-Paule Lafont que nous avons citée plus haut. Source de beauté, le temps n’en finit pas de détruire ce qu’il engendre, quant à l’épouvantail, il est la représentation dérisoire et cependant quelque part somptueuse de ce déchirement, lui dont le corps tragiquement burlesque est condamné à finir brûlé, tel un mannequin de carnaval. Une seule et unique image accompagne les poèmes de Ravier, en frontispice : un dessin au trait en noir et blanc signé Jaume Doble (Jacques Double, probablement), et située à gauche de la page de garde. Ce dessin représente un épouvantail entraîné dans un mouvement de danse avec son reflet lumineux, une femme nue qui se dirige dans la direction opposée. On y retrouve, rassemblés, les principaux thèmes du recueil saisis en mouvement, et comme une interprétation graphique de sa signification profonde et des tensions qui en sous-tendent l’équilibre, un équilibre en cela quasi miraculeux.

À la suite de Girard, de Nelli surtout, le maître essentiel, ou de Machado, deux figures majeures viennent clore le recueil : Rilke, déjà mentionné, mais rapidement, dans « Glòsas », et, surtout, Joë Bousquet, figure centrale et surplombante du ciel poétique de Ravier. « D’après vèrs de R. M. Rilke » et « D’un poèta… Joë Bousquet » referment dans cet ordre et simultanément rouvrent le champ poétique. Referment, car Paraulas entà tròç de prima n’a pas connu de suite visible, comme le constatait Nelli, en le regrettant, dans son anthologie de 1972. Rouvrent néanmoins, car Ravier n’a pas cessé de méditer sur les poètes qu’il aimait, et d’abord sur ceux qu’il avait mis en exergue de son recueil de 195436. Il a en outre continué, parallèlement, d’écrire de la poésie, et de publier, parcimonieusement il est vrai, en français surtout, en occitan parfois.

Xavier Ravier poète. Points de repères

De Xavier Ravier poète occitan, une fois abandonné le rôle qu’il joua dans les années 1950 dans la revue Oc, le souvenir a subsisté pendant un certain dans les anthologies. Outre celle d’Andrée-Paule Lafont, qui faisait à Ravier une place importante parmi les poètes des plus jeunes générations37 et celle de René Nelli, déjà mentionnées, on peut signaler celle réunie dans la revue Vagabondages par l’écrivain d’expression française Frédéric Jacques Temple en 1981 (Temple 1981, 102-105). Ravier y figure avec deux poèmes, extraits du recueil de 1954 et donnés en version originale et traduction française (de l’auteur) : « D’après vèrs de R.M. Rilke » et « Nòvia d’autes còps ». Le second figurait déjà dans les deux anthologies précédentes ; le premier, non. Temple, à cet égard, se démarque de ses prédécesseurs, en proposant un texte qui inscrit Ravier dans la poésie européenne de son temps et donne ainsi à son écriture une double couleur : d’un côté, celle d’une référence au paysage des origines, celui de la Gascogne ; et, d’un autre, celle d’une appartenance revendiquée à l’univers poétique européen des premières décennies du début du XXe siècle38 (Rilke, d’origine autrichienne, poète de langue allemande mais aussi de langue française, est mort en 1926 en Suisse romande).

En occitan parfois, ai-je écrit plus haut. Ce fut le cas dans la première livraison de la revue Obradors (deuxième série, « Novèla tièra »), publiée sans mention de date, mais dont on peut situer l’impression en 1973. Trois textes en gascon de Ravier y figurent (p. 42-44). Le premier, le plus long, dépourvu de titre, est un poème qui commence ainsi : « Ton còs totau que contempli deu som de sa lutz39 » [Ton corps total que je contemple depuis le sommet de sa lumière]. Le deuxième s’intitule « Huèc de Thann40 », et le troisième « Hölderlinhaus41 ». Il s’agit cette fois de textes en prose.

En français, la poésie de Ravier, quoique plutôt confidentiellement, a connu au moins trois lieux de publication. Le premier en chronologie fut le recueil de textes Pays de la langue, pays de la poésie (Allaigre-Duny 1998). On trouve dans ce volume 21 poèmes en français de Ravier42, parmi lesquels l’un des deux textes en prose publiés en occitan en 1973 dans Obradors (« Feu de Thann »). Certains de ces poèmes (de loin les plus nombreux) sont attribués à des recueils : Remembrement (1992), pour la plupart d’entre eux ; Jours de parole et Stations de l’amour (1963-1965) pour quelques-uns seulement. On notera que l’un de ces poèmes est donné en occitan (languedocien) seulement, sans version française : « Al Lauragués43 » [Au Lauragais] (p. 115, daté de 1991). Et qu’un autre (« San Juan de la Peña », p. 71) l’est en castillan seulement. Sont ainsi représentées ce que Ravier, dans son intervention préliminaire44, appelle « les trois langues […] qui me furent données par la vie en divers moments ». L’année suivante, Ravier publia un autre ensemble poétique de sept pièces45 dans le volume de Mélanges offert à Georges Mailhos46. Il fallut attendre 2004 pour que voie le jour un deuxième recueil, de 68 pages : D'eau, de terre, de parole, avec des peintures et des dessins de Colette Brunschwig. Comme l’indique l’un des éditeurs, René Trusses, sur la quatrième page de couverture, il s’agit d’une anthologie que l’on doit lire comme le cheminement d’une existence dont les moments essentiels ont été saisis par la parole poétique, depuis les origines, les commencements (« Augural ») jusqu’au moment de la retraite finale (« Un homme chez lui »), soit 39 poèmes ou proses poétiques au total47. On retrouve dans ce recueil la quasi-totalité des poèmes publiés dans les ouvrages collectifs de 1998 et 2004. Probablement parce qu’ils comptaient au nombre de ceux auxquels le poète était le plus attaché. Pour des raisons personnelles, sans doute, mais aussi parce qu’ils représentaient au mieux l’idée qu’il se faisait du « travail » du poète, de sa tâche essentielle. L’intitulé du recueil, qui associe, dans cet ordre, l’eau, la terre et la parole, reprend, en la formulant plus explicitement, la poétique qui illuminait déjà Paraulas entà tròç de prima et conférait à ce livre sa valeur inaugurale, dans l’acception prégnante du mot. Il en dit la solidité, mais aussi la fragilité, que le temps, et, d’abord, le temps des êtres humains, sont toujours susceptibles de déplacer et, parfois, de détruire. Mais reste la parole, fragile elle aussi, et cependant quelque part plus pérenne que les paysages.

Dans ce recueil qui est un parcours d’existence, on est frappé par le fait que le poème, pour Ravier plus que pour beaucoup d’autres, est une affaire de circonstance. Et davantage encore d’occasion. Ce qui advient et, sur le moment, change le cours des choses, et, du coup, vous change aussi, et fait naître le poème, sa nécessité, les premiers mots peut-être, et les paysages qui en déterminent la forme, le rythme, l’élan… Au cœur du recueil, plusieurs poèmes48 font référence au festival de jazz de Marciac (la cité gersoise jouxte le pays de naissance du poète), à certains des musiciens qui s’y sont illustrés et dont Ravier a gardé le souvenir, devenu intemporel quand le poème s’en est emparé. Ce sont là autant de ces coups du destin, de ces foudroiements illuminants qui font songer à celui que Ravier discernait dans le titre du livre de Jordi Pere Cerdà, Tota llengua fa foc, qui fut, nous l’avons vu, comme le double, ou le jumeau temporel, de Paraulas entà tròç de prima. Étrangement, mais de façon riche de sens, Ravier, quand il évoquait, en 1996, la formule de Cerdà, mentionnait aussitôt après le souvenir d’un concert Beethoven donné à Prades de Conflent, le 20 juin 1954, par le violoncelliste catalan Pau Casals accompagné au piano par Rudolf Serkin. Souvenir déjà sauvé de l’oubli, à chaud, dans un article de la revue Oc (n° 193, abril-julh de 1954), « En tornar de Prades, 20 de junh de 195449 »). Et que le texte de 1996 reproduit presque mot pour mot : « … pendant l’exécution des pièces au programme, je ne pouvais m’empêcher de faire un tout, dans la nuit de Conflent, de la modulation sonore, de l’image du Canigou qui occupait mon esprit et des vers de Verdaguer célébrant ‟la muntanya regalada” ». En 1954, une longue citation du chant II de Canigó, le grand poème pyrénéen de l’écrivain catalan, accompagnait la réflexion de Ravier sur cette communion magique, qui, par certains aspects, fait penser à ce que Robert Lafont, quelques années plus tard, à propos du même Jacint Verdaguer, allait tenter d’appréhender comme géopoétique50.

L’une des premières pièces du livre de 2004 s’intitule « Remembrement » (mot qui est aussi le titre d’un recueil demeuré en partie inédit). Elle fait allusion à ces regroupements de terre effectués à marche forcée et aux destructions qu’ils ont entraînées en particulier entre 1960 et 1980. Mais l’allusion est aussi intime et, d’une certaine façon, presque métaphysique, et par là esthétique : tout a disparu de cette sorte de paradis (le mot n’est bien sûr pas prononcé), celui d’une jeunesse qui était aussi celle du monde. Mais en demeure la présence par la parole :

Avant la destruction des arbres,
avant l’anéantissement des ruisseaux,
avant l’effacement des sentiers,
avec des troupeaux aussi jeunes que nous,
nous habitions des prairies
à lisières de peupliers
où par quelques passereaux
le ciel se suffisait :
notre regard s’accroissait de l’écho
que toutes les feuilles et leur nervure
confiaient à l’horizon des derniers champs.

On reconnaît, inchangés, les paysages incarnés par la parole occitane du recueil de 1954, comme, à distance, une boucle qui n’en finit pas de se boucler. Et l’on y entend résonner le refrain enchanté et enthousiaste de l’exorde d’alors, « A la terra noviala » : « Peus signes d’aqueth païs ».

Cette assez remarquable continuité au long des années, rétrospectivement, confère un poids de sens supplémentaire à la publication de Paraulas entà tròç de prima en 1954 dans la collection « Messatges ». Celui, essentiellement, d’une démarche poétique globale, qui ne s’est jamais démentie au bout du compte. Et qui n’a jamais cessé de placer le paysage des origines et ses prolongements au centre d’une interrogation sur le temps, les mots et la vie terrestre. De cette démarche d’ouverture en direction de ce qui pourrait être sinon l’essence, à tout le moins une des essences, de la poésie, témoigne par exemple le vers de Rilke que Ravier a placé en exergue de son poème « Marciac encore », dont le titre, comme le premier vers, sont déjà significatifs : « Voix de maintenant, voix de toujours ». Ravier ne donne que la version allemande de ce vers51:

Gibt es wirklich die Zeit, die zerstörende ?

Soit, selon Armel Guerne, qui traduisit en français les Sonnets à Orphée dont il est extrait52: « Le temps existe-t-il réellement, le destructeur ? ».

Témoigne aussi de la même démarche la citation d’Hannah Arendt qu’il proposait dans les dernières lignes d’une intervention consacrée à deux autres poètes qu’il affectionnait tout particulièrement, les Carcassonnais Joë Bousquet et François-Paul Alibert (Ravier 2017, 30) : « La durabilité d’un poème est produite par condensation, comme si le langage parlé dans sa plus grande densité, concentré à l’extrême, était poétique en soi53 ».

Exemplaire dédicacé à René Nelli par Xavier Ravier de Paraulas entà tròç de prima

Exemplaire dédicacé à René Nelli par Xavier Ravier de Paraulas entà tròç de prima

[Pour René Nelli, ces premières paroles d’une vie qui se cherche dans un monde et une langue retrouvés, à Toulouse le 8 janvier 1955].

avec l’aimable autorisation des Archives départementales de l’Aude (M. Claude-Marie Robion ; A D Aude, 7 JJ 5/116).

1 Les éditeurs, la revue Oc, « sous les auspices de l’Institut d’études occitanes », parlent de quasèrns en occitan, cahiers en français, à leur

2 Claire Torreilles, éd., Lasobros mescladissos d'un baroun de Caravetos. Les œuvres mêlées d’un baron de Caravètes. Jacques Roudil, Collection « 

3 Certains ont proposé Paroles pour des morceaux de printemps. Le titre occitan paraît lui aussi avoir évolué avant la publication du recueil :

4 Oc, n° 197, estiu de 1955, 148-140. Notons que Xavier Ravier était alors le rédacteur en chef de la revue, une fonction qu’il exerça deux années

5 Je n’ai malheureusement pas trouvé trace de ce « prière d’insérer », ni dans les numéros de la revue Oc ni dans les exemplaires de ce recueil qu’il

6 Lafont est de 1925, Espieux de 1923 ; Ravier, lui, est plus jeune : il est né en 1930 à Ladevèze-Rivière, en plein cœur de la Gascogne, dans le

7 Sur cette collaboration, voir Gardy 2011. Lafont n’était pas dupe du jeu biaisé qu’il devait jouer en écrivant ses chroniques. Ainsi au détour d’une

8 Il s’agit, pour ceux qui peuvent accéder au recueil de 1954, du poème sans titre des pages 26-27 : « Ja la cara d’un gran mòrt ». Andrée-Paule

9 Jean Rouquette, dans son Que sais-je? La littérature d’oc (hélas depuis longtemps sorti du catalogue des PUF), précise, dans une note à propos de

10 [le romantisme germanique tel que défini par Albert Béguin].

11 La première édition de l’ouvrage est de 1937. Elle fut publiée aux Cahiers du Sud, avant d’être reprise, revue et augmentée, en 1939, chez José

12 L’unique recueil de Dario/Girard, Signes, fut le n° 28 de la collection « Messatges » (achevé d’imprimer du 1er février 1960). La dernière pièce du

13 En 1952, dans la série « Òbras » de la collection « Messatges ». En 1947, Nelli avait fait paraître aux éditions des Cahiers du Sud un essai très

14 C’est également à Labatut de Ribera, quelques mois plus tard (« lo 26 de setemer de 1953 »), que Ravier situe l’écriture du compte rendu qu’il

15 Mistral, TdF, à Tros, indique: « tronçon, morceau, fragment, lambeau, pièce, débris ». Il faut néanmoins relever que Ravier, quelques lignes

16 La date du 24 décembre a-t-elle été le fait du seul hasard ?… On notera cependant qu’un autre recueil de la collection « Messatges » (n° 17)

17 « À la terre nuptiale ». Rien d’indique que la version française en regard ne soit pas de Ravier lui-même. Nous la lui attribuons donc.

18 « De l’éveil jusqu’à elle ». La table finale réunit sous cet intitulé les douze premières pièces du recueil, à l'exclusion de la prose inaugurale.

19 « Quand tu reviendras ». Ce titre ne faisait que reprendre le début du premier vers du poème.

20 [À travers les territoires des grands vivants] Une citation traduite en occitan de Rabindranath Tagore est mise en exergue de cet ensemble dans

21 Pandèr (sur les cartes : Pandé) est une ferme située sur la commune de Ladevèze-Rivière.

22 [Proverbes de notre lumière » et « Discours de la terre »].

23 L’occasion était la parution en 1953 chez Pierre Seghers (collection « Autour du monde ») d’une traduction française de Quelques poèmes de Machado

24 Cette intervention sans titre, p. 29 de la revue, mais intitulée « Joens escriveires » [Jeunes écrivains] au sommaire de la deuxième de couverture

25 « À Michette, par qui tout a recommencé ».

26 Sur Girard (1898-1976), dans l’attente d’une biographie détaillée, on lira celle établie par le CIRDOC, https://occitanica.eu/items/show/4547.

27 « Le pseudonyme de Dario est le nom d’une branche de la famille du poète, la plus anciennement implantée en Comminges » (Lafont Andrée-Paule 1962

28 Oc, [n° 164], automne 1943, 8.

29 Andrée-Paule Lafont, dans la présentation du recueil de Delfin Dario, indique : « S’y mêle l’âme des paysages, grisailles et verdures éteintes

30 Je m’en tiens ici aux mentions que l’on peut lire par exemple dans le n° 192-193 d’Oc (abril-julh de 1954).

31 On lira l’hommage que rendit Xavier Ravier à Jacques Allières (1929-2000) dans les Annales du Midi (tome 113, n° 233, 2001, 107-109 ; www.persee.fr

32 Sur Jean Séguy (à bien distinguer de son homonyme Jean [-Baptiste] Séguy, sociologue des religions et auteur de deux recueils dans la collection « 

33 La dédicace précise : « Entau deheneire entenut/ de la cara lenga nosta » (« Au savant défenseur/ de notre chère langue »), p. 28-29.

34 Lui est dédié l’ultime poème de la première partie du recueil (premier vers : « Viradas de las caças »/ « Chasses tournantes », p. 30-31). Sur ces

35 Son livre majeur, Esthétique de l’abstraction, Toulouse, Privat et Paris, PUF, parut peu de temps après le recueil de Ravier, en 1955. Bru avait

36 On lira et relira, à propos de Nelli et de Bousquet, le court mais saisissant « souvenir » rapporté par Ravier sous le titre « La journée des

37 On y trouve, dans les deux langues, pas moins de six pièces sur six pages. Le poème d’après Rilke n’y figure pas.

38 En l’occurrence celui des Élégies de Duino, l’une des œuvres majeures de Rilke.

39 Une version française de ce texte figure dans le recueil D'eau, de terre, de parole, p. 29-31, sous le titre « Opus nostrum ».

40 Que Ravier lui-même, on le verra plus loin, a rendu en français par « Feu de Thann ».

41 On lit « Hödelinhaus », qui est évidemment une coquille, on ne peut plus malencontreuse (une autre affecte le second mot en allemand du texte :

42 Aux pages 21, 35, 45, 53, 61, 71, 91,107, 115, 127, 147, 159, 169, 181, 197, 211, 221, 233, 245, 257, 265.

43 Le changement de variété dialectale est bien sûr à mettre en relation avec le thème du poème: il faut que la langue soit étroitement et justement

44 « Le poème et la demeure », p. 17-19.

45 « Anamnèse » ; « Un homme chez lui » ; « Rue de Verdun » ; « Oppidum » ; « Feu de Thann » ; « Hölderlinhaus » ; « Spinoza ». D’après les éditeurs

46 Ravier 1999. Georges Mailhos fut président de l’Université de Toulouse-le-Mirail, où il enseignait la littérature française.

47 Ce texte est intitulé « Xavier Ravier ou quarante ans d’écriture ». Sur René Trusses et ses activités artistiques, entre écriture, peinture et

48 « Marciac » ; « Marciac encore » ; « Jo Lee Wilson », daté du 15 août 1985 ; « Michel Petrucciani » ; « Guy Lafitte face à l’arcane majeur ».

49 [En revenant de Prades, 20 juin 1954].

50 Robert Lafont, « La Visiópanoramica i la seva transcendència dins de la geopoètica de Verdaguer », Oc, n° 208, junh de 1958, 59-65. Il s’agit du

51 Ceux qui l’ont connu savent que Xavier Ravier remettait souvent sur le métier des versions françaises des poètes, castillans ou allemands surtout

52 Il s’agit du premier vers du sonnet XXVII de la seconde partie des Sonnets àOrphée (Paris, Éditions du Seuil, [1972] ; 2006, 210-211 (collection « 

53 Ce passage est tiré de Condition de l’homme moderne, traduit de l’anglais par Georges Fradier, préface de Paul Ricœur, Paris, Calman Lévy, 1961;

Bibliographie

Allaigre-Duny, Annick (éd.), 1998, Pays de la langue, pays de la poésie. Actes du colloque organisé en novembre 1996 par le Laboratoire de Recherches en Langues et Littératures romanes de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour, Pau, Éditions Covedi.

Ravier, Xavier, printemps 1998, « Joë Bousquet et René Nelli : temps, destin, ordre poétique », Littératures 38, 129-143. www.persee.fr/doc/litts_0563-9751_1998_num_38_1_1769.

Ravier, Xavier, 1999, « Poèmes offerts », in François-Charles Gaudard (éd.), L’Esprit et les Lettres. Mélanges offerts à Georges Mailhos, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 395-400.

Ravier, Xavier, 2002, D'eau, de terre, de parole. Peintures et dessins de C. Brunschwig, Tarbes, La Malle d’Aurore.

Ravier, Xavier, 2017, « Joë Bousquet et François-Paul Alibert : une entrée en écriture », in François-Charles Gaudard (dir.), Joë Bousquet et l’écriture, Paris, L’Harmattan, 19-31.

Espieux, Enric, 2018, Tròbas I/ Poèmes I. Édition de Claire Torreilles, Montpeyroux, Jorn.

Espieux, Enric, 2019, Tròbas II/ Poèmes II, 1960-1971. Édition de Claire Torreilles, Montpeyroux, Jorn.

Gardy, Philippe, 2011, « Robert Lafont critic literari. L’aventura dei Cahiers du Sud (1953-1966) », Lenga e país d’Oc, n° 50-51, 112-125.

Gardy, Philippe, 2011, René Nelli, la recherche du poème parfait. Suivi de René Nelli, Choix de poèmes, Carcassonne, Garae / Hésiode.

Lafont, Andrée-Paule, 1962, Anthologie de la poésie occitane, 1900-1960, Préface d’Aragon, Paris, Éditeurs Français Réunis, 358-363.

Nelli, René, 1972, La poésie occitane, des origines à nos jours, Paris, Seghers.

Rouquette, Jean, 1963, 1980, La littérature d’oc, Paris, PUF (Que sais-je? n° 1039).

Temple, Frédéric Jacques, septembre-octobre 1981, Poètes de langue d’oc, Vagabondages, n°102-105, 32-33.

Toti, Yves, Oc, [= 2004], « Pèlerin de l’absolu ». Un bout de chemin (1924-1964), Nice, Éditions de la revue Oc, s. d.

1 Les éditeurs, la revue Oc, « sous les auspices de l’Institut d’études occitanes », parlent de quasèrns en occitan, cahiers en français, à leur propos dans l’élégant achevé d’imprimer généralement placé en tête d’ouvrage, p. 2.

2 Claire Torreilles, éd., Las obros mescladissos d'un baroun de Caravetos. Les œuvres mêlées d’un baron de Caravètes. Jacques Roudil, Collection « Estudis occitans », Montpellier, PULM, 2020.

3 Certains ont proposé Paroles pour des morceaux de printemps. Le titre occitan paraît lui aussi avoir évolué avant la publication du recueil : Paraulas entà tròç de printemps / de primtemps (voir par exemple l’annonce des livres en préparation dans le n° 190 de la revue Oc, p. 52).

4 Oc, n° 197, estiu de 1955, 148-140. Notons que Xavier Ravier était alors le rédacteur en chef de la revue, une fonction qu’il exerça deux années seulement, entre 1954 et 1956, après avoir succédé à Félix Castan. Le rôle alors joué par lui dans l’évolution de la revue a été décrit avec précision par Yves Toti (Toti, 175-176 ; 224-229). Sur Henri Espieux, on lira Espieux 2018 et 2019 (édition critique de l’œuvre poétique publiée ou inédite par Claire Torreilles).

5 Je n’ai malheureusement pas trouvé trace de ce « prière d’insérer », ni dans les numéros de la revue Oc ni dans les exemplaires de ce recueil qu’il m’a été possible de consulter (ceux conservés par le CIRDOc; le tirage total avait été de 325 exemplaires).

6 Lafont est de 1925, Espieux de 1923 ; Ravier, lui, est plus jeune : il est né en 1930 à Ladevèze-Rivière, en plein cœur de la Gascogne, dans le département du Gers, au voisinage immédiat des Landes et des Hautes Pyrénées.

7 Sur cette collaboration, voir Gardy 2011. Lafont n’était pas dupe du jeu biaisé qu’il devait jouer en écrivant ses chroniques. Ainsi au détour d’une conversation enregistrée publiée dans Oc: « Ieu que trabalhe amb quauquis autres, precisament i Cahiers du Sud e a Europe […] vos pòde dire qu’aquela collaboracion es pastada d’ambiguitat. Pòt pas èstre autrament: respònd au desir d’aqueli revistas de s’interessar a nosautres, e pèr manca d’especialistas, es nosautres que parlam de nosautres » [Moi qui travaille avec quelques autres, précisément aux Cahiers du Sud et à Europe, je peux vous dire que cette collaboration est pétrie d’ambiguïté. Il ne peut pas en être autrement : elle répond au désir de ces revues de s’intéresser à nous, et par manque de spécialistes, nous devons nous-mêmes parler de nous] (« Conversa sus la critica », Oc, 222, octobre-desembre de 1961, 4).

8 Il s’agit, pour ceux qui peuvent accéder au recueil de 1954, du poème sans titre des pages 26-27 : « Ja la cara d’un gran mòrt ». Andrée-Paule Lafont, dans son anthologie, donne également à lire cette pièce (Lafont Andrée-Paule 1962, 362-363).

9 Jean Rouquette, dans son Que sais-je? La littérature d’oc (hélas depuis longtemps sorti du catalogue des PUF), précise, dans une note à propos de Reboul qui mérite citation intégrale, « La poésie d’Oc n’a pas à proprement parler connu le surréalisme, qui est avant tout parisien. Delteil et Bousquet ont écrit en français. L’influence du surréalisme est tardive, et permit, mêlée à d’autres voix (celles de Lorca, de Rilke, vers 1940) un renouvellement de l’écriture sans imposer son système » (Rouquette 1963, 112 ; Rouquette 1980, 113; on lira les deux éditions, qui se complètent, sur ce point comme sur beaucoup d’autres). C’est sans doute, finalement, le poète Serge Bec qui peut être considéré, à juste titre, comme l’héritier incontestable d’un certain surréalisme, celui de l’« amour fou », d’un côté, mais aussi celui du langage flamboyant, portant à leur point d’incandescence maximal les capacités métaphoriques du langage (après d’autres, et notamment Robert Lafont dans ses chroniques « Lettres d’Oc » des Cahiers du Sud au cours des années 1955-1960, cet aspect essentiel de la poésie de Serge Bec a été rappelé, lors du décès de ce dernier, par Philippe-Jean Catinchi dans Le Monde, « Serge Bec, poète provençal », jeudi 11 mars 2021).

10 [le romantisme germanique tel que défini par Albert Béguin].

11 La première édition de l’ouvrage est de 1937. Elle fut publiée aux Cahiers du Sud, avant d’être reprise, revue et augmentée, en 1939, chez José Corti.

12 L’unique recueil de Dario/Girard, Signes, fut le n° 28 de la collection « Messatges » (achevé d’imprimer du 1er février 1960). La dernière pièce du recueil s’intitule « Legint R.-M. Rilke » (« En lisant R.-M. Rilke »), p. 62-64. Notons que cette pièce rilkéenne avait notamment été déjà publiée dans le numéro Jeune poésie d’Oc de la revue toulousaine Pyrénées, sous la direction de René Nelli (n° 17-18, mars-juin 1944, p. 452-453). On lit, heureux hasard ?, dans cette même livraison quelques-uns des Sonnets à Orphée traduits par André Bellivier (p. 505-596).

13 En 1952, dans la série « Òbras » de la collection « Messatges ». En 1947, Nelli avait fait paraître aux éditions des Cahiers du Sud un essai très remarqué, Poésie ouverte, poésie fermée.

14 C’est également à Labatut de Ribera, quelques mois plus tard (« lo 26 de setemer de 1953 »), que Ravier situe l’écriture du compte rendu qu’il publie dans Oc (n°190, octobre de 1953, 39-43) du recueil de Pierre Lagarde sorti la même année dans la collection « Messatges »: « Devath lo signe d’una vocacion: Espèra del jorn ». Sa lecture précise et empathique confronte, comme il aimait déjà le faire, la poésie de Lagarde à celle d’autres écrivains (Machado bien sûr, que Lagarde évoque nommément, mais aussi René-Guy Cadou, Paul Valéry, René Char).

15 Mistral, TdF, à Tros, indique: « tronçon, morceau, fragment, lambeau, pièce, débris ». Il faut néanmoins relever que Ravier, quelques lignes auparavant, définit le poème comme « un tròs isolat dens ua continuitat de la lutz de la terra e deu sentiment deu diguens (continuitat tots temps miaçada » (« un fragment isolé dans une continuité de la lumière terrestre ou du sentiment intérieur (continuité toujours menacée »)). L’hésitation graphique entre tròs et tròç n’est sans doute ici qu’une inadvertance. Fragment, quoi qu’il en soit, restitue, comme débris, le sens, ou une partie du sens, de tròç, en français, pour le poète.

16 La date du 24 décembre a-t-elle été le fait du seul hasard ?… On notera cependant qu’un autre recueil de la collection « Messatges » (n° 17), imprimé également à Avignon par Aubanel, porte la même date, celui de l’écrivain catalan Jordi Pere Cerdà, Tota llengua fa foc. Un titre que Ravier, presque une moitié de siècle plus tard, dans l’intervention qu’il fit à Pau en 1996 (Allaigre-Duny 1998, 18), commentait encore avec une belle acuité, s’interrogeant alors sur ce feu « consubstantiel au langage » dont les poètes demeurent les premiers interprètes.

17 « À la terre nuptiale ». Rien d’indique que la version française en regard ne soit pas de Ravier lui-même. Nous la lui attribuons donc.

18 « De l’éveil jusqu’à elle ». La table finale réunit sous cet intitulé les douze premières pièces du recueil, à l'exclusion de la prose inaugurale.

19 « Quand tu reviendras ». Ce titre ne faisait que reprendre le début du premier vers du poème.

20 [À travers les territoires des grands vivants] Une citation traduite en occitan de Rabindranath Tagore est mise en exergue de cet ensemble dans lequel on distingue deux sous-ensembles, « Imatges de l’arbre » et « Atges de l’arbre » (dédié à « Jaume Allières e Germana Bergé »), et quatre poèmes séparés.

21 Pandèr (sur les cartes : Pandé) est une ferme située sur la commune de Ladevèze-Rivière.

22 [Proverbes de notre lumière » et « Discours de la terre »].

23 L’occasion était la parution en 1953 chez Pierre Seghers (collection « Autour du monde ») d’une traduction française de Quelques poèmes de Machado, par Pierre Darmangeat et Gabriel Pradal-Rodriguez.

24 Cette intervention sans titre, p. 29 de la revue, mais intitulée « Joens escriveires » [Jeunes écrivains] au sommaire de la deuxième de couverture (reprenant ainsi les premiers mots du texte), désignait le passage de la langue au langage dont le poète, pour Ravier, devait impérativement tenter d’être l’artisan obstiné.

25 « À Michette, par qui tout a recommencé ».

26 Sur Girard (1898-1976), dans l’attente d’une biographie détaillée, on lira celle établie par le CIRDOC, https://occitanica.eu/items/show/4547. Girard était originaire du village de Gensac, rattaché à la commune de Montpézat, dans la région du Bas Comminges.

27 « Le pseudonyme de Dario est le nom d’une branche de la famille du poète, la plus anciennement implantée en Comminges » (Lafont Andrée-Paule 1962, 192).

28 Oc, [n° 164], automne 1943, 8.

29 Andrée-Paule Lafont, dans la présentation du recueil de Delfin Dario, indique : « S’y mêle l’âme des paysages, grisailles et verdures éteintes, signes pour ce poète du ‟temps qui fuit”, selon le premier titre de l’œuvre » (p. 5).

30 Je m’en tiens ici aux mentions que l’on peut lire par exemple dans le n° 192-193 d’Oc (abril-julh de 1954).

31 On lira l’hommage que rendit Xavier Ravier à Jacques Allières (1929-2000) dans les Annales du Midi (tome 113, n° 233, 2001, 107-109 ; www.persee.fr/doc/anami_0003-4398_2001_num_113_233_2694).

32 Sur Jean Séguy (à bien distinguer de son homonyme Jean [-Baptiste] Séguy, sociologue des religions et auteur de deux recueils dans la collection « Messatges »), on lira la courte mais percutante notice que lui a consacrée un autre de ses disciples, Jean-Claude Dinguirard, « Jean Séguy, 1914-1973 », Le Monde alpin et rhodanien, 1973, 2, 67-68; www.persee.fr/doc/mar_0758-4431_1973_num_1_2_925.

33 La dédicace précise : « Entau deheneire entenut/ de la cara lenga nosta » (« Au savant défenseur/ de notre chère langue »), p. 28-29.

34 Lui est dédié l’ultime poème de la première partie du recueil (premier vers : « Viradas de las caças »/ « Chasses tournantes », p. 30-31). Sur ces colloques et « biennales » montalbanaises, on se référera par exemple au numéro 19 (décembre 1960) de la revue Entretiens sur les lettres et les arts, dirigée depuis Rodez par Jean Digot. Robert Lafont y publia le texte d’une intervention prononcée à Montauban sur « Paysage et création poétique » (p. 1-8) dont plusieurs remarques rejoignent celles formulées quelques années plus tôt par Ravier dans Oc.

35 Son livre majeur, Esthétique de l’abstraction, Toulouse, Privat et Paris, PUF, parut peu de temps après le recueil de Ravier, en 1955. Bru avait publié plusieurs textes consacrés à l’occitanisme renaissant au lendemain de la Libération (par exemple sa contribution « Les raisons et les principes d’un nouvel esprit régionaliste », p. 33-52), au numéro 5 (novembre 1950) des Annales de l’Institut d’Études occitanes, « Pour un nouvel esprit régionaliste », auquel collaborèrent Jean Ballard, André Chamson, Armand Lunel, Charles Parain, Albert Soboul, Félix Castan, René Nelli. Bru était un ami de Nelli, qui lui dédia, ainsi qu’à son épouse, plusieurs épigrammes et tout spécialement les dix qui figurent en tête du numéro 196 (prima de 1955) d’Oc ; « A Pèire e Suson Bru » (Gardy, 2011, 153 et suiv.).

36 On lira et relira, à propos de Nelli et de Bousquet, le court mais saisissant « souvenir » rapporté par Ravier sous le titre « La journée des signes » (encore et toujours…) dans le précieux petit volume édité par Daniel Fabre et Jean-Pierre Piniès, 31 vies et revies de René Nelli. Vidas e razos, Carcassonne, Garae/Hésiode, 2011, p. 135-136.

37 On y trouve, dans les deux langues, pas moins de six pièces sur six pages. Le poème d’après Rilke n’y figure pas.

38 En l’occurrence celui des Élégies de Duino, l’une des œuvres majeures de Rilke.

39 Une version française de ce texte figure dans le recueil D'eau, de terre, de parole, p. 29-31, sous le titre « Opus nostrum ».

40 Que Ravier lui-même, on le verra plus loin, a rendu en français par « Feu de Thann ».

41 On lit « Hödelinhaus », qui est évidemment une coquille, on ne peut plus malencontreuse (une autre affecte le second mot en allemand du texte : Schwarzwald, la Forêt-Noire). Soit « La maison de Hölderlin ». Ce poème est daté : « Tübingen, 26-6-1972 ». Il fut donc écrit assez peu de temps avant d’être envoyé à la revue montpelliéraine. Une version française, sous le même intitulé, figure dans D'eau, de terre, de parole, p. 60. La date d’écriture y est formulée ainsi : « Souvenir du 26 juin 1972, Tübingen ».

42 Aux pages 21, 35, 45, 53, 61, 71, 91,107, 115, 127, 147, 159, 169, 181, 197, 211, 221, 233, 245, 257, 265.

43 Le changement de variété dialectale est bien sûr à mettre en relation avec le thème du poème: il faut que la langue soit étroitement et justement accordée aux paysages qui ont fait naître le poème. Une version française de ce texte figure dans le recueil D'eau, de terre, de parole, p. 43.

44 « Le poème et la demeure », p. 17-19.

45 « Anamnèse » ; « Un homme chez lui » ; « Rue de Verdun » ; « Oppidum » ; « Feu de Thann » ; « Hölderlinhaus » ; « Spinoza ». D’après les éditeurs, cinq de ces sept poèmes sont tirés du recueil Remembrement.

46 Ravier 1999. Georges Mailhos fut président de l’Université de Toulouse-le-Mirail, où il enseignait la littérature française.

47 Ce texte est intitulé « Xavier Ravier ou quarante ans d’écriture ». Sur René Trusses et ses activités artistiques, entre écriture, peinture et théâtre : http://rene.trusses.fr.

48 « Marciac » ; « Marciac encore » ; « Jo Lee Wilson », daté du 15 août 1985 ; « Michel Petrucciani » ; « Guy Lafitte face à l’arcane majeur ».

49 [En revenant de Prades, 20 juin 1954].

50 Robert Lafont, « La Visió panoramica i la seva transcendència dins de la geopoètica de Verdaguer », Oc, n° 208, junh de 1958, 59-65. Il s’agit du texte d’une conférence prononcée en Catalogne (et en catalan) au cours de l’été 1957.

51 Ceux qui l’ont connu savent que Xavier Ravier remettait souvent sur le métier des versions françaises des poètes, castillans ou allemands surtout, qu’il aimait à réciter.

52 Il s’agit du premier vers du sonnet XXVII de la seconde partie des Sonnets à Orphée (Paris, Éditions du Seuil, [1972] ; 2006, 210-211 (collection « Points »; on trouve en début d’ouvrage une version bilingue des Élégies de Duino, version française d’un poète que Ravier tenait en haute estime, Lorand Gaspar; voir dans Ravier 2002, 53, le poème « Pour Lorand Gaspar »).

53 Ce passage est tiré de Condition de l’homme moderne, traduit de l’anglais par Georges Fradier, préface de Paul Ricœur, Paris, Calman Lévy, 1961; 1983; 1988, 225. La contribution de Ravier est suivie dans ce volume consacré à Joë Bousquet de celle de son ami l’anthropologue Daniel Fabre, « L’écrivain en son lieu ».

Oc, n° 196, prima de 1965.

Oc, n° 196, prima de 1965.

C’est Xavier Ravier, alors rédacteur de la revue, qui inaugura la publication, en tête de chaque numéro, de portraits ou de photographies de groupe d’écrivains occitans.

Revue Oc

Page de garde de Paraulas entà tròç de prima.

Page de garde de Paraulas entà tròç de prima.

Dessin signé Jaume Doble

Exemplaire dédicacé à René Nelli par Xavier Ravier de Paraulas entà tròç de prima

Exemplaire dédicacé à René Nelli par Xavier Ravier de Paraulas entà tròç de prima

[Pour René Nelli, ces premières paroles d’une vie qui se cherche dans un monde et une langue retrouvés, à Toulouse le 8 janvier 1955].

avec l’aimable autorisation des Archives départementales de l’Aude (M. Claude-Marie Robion ; A D Aude, 7 JJ 5/116).