Scène d'exposition

Sylvan Chabaud E Marie-jeanne Verny

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Sylvan Chabaud E Marie-jeanne Verny, « Scène d'exposition », Plumas [En linha], 5 | 2024, Mes en linha lo 17 juin 2024, Consultat lo 12 décembre 2024. URL : https://plumas.occitanica.eu/1502

Le présent dossier fait suite à un colloque du laboratoire ReSO qui s’est tenu les 18 et 19 novembre 2022 à l’Université Paul Valéry Montpellier 3 et au Cirdoc – Institut occitan de cultura : La langue d’oc en scène, permanence et évolution du théâtre d’oc de l’Ancien Régime à nos jours. Le titre était ambitieux et l’immensité du champ d’investigation pouvait, il est vrai, donner le vertige. Cependant l’objectif n’était pas d’embrasser la grande variété des écritures dramatiques occitanes dans leur totalité, mais plutôt de faire le point sur les connaissances actuelles, de revenir sur quelques œuvres marquantes ou méconnues, et de questionner cette « permanence » d’un théâtre en langue d’oc qui, depuis le Moyen-Âge jusqu’au XXIe siècle, n’a jamais cessé d’occuper la scène. En effet, il est significatif de remarquer que l’occitan a toujours trouvé une place particulière sur les “planches”.

Il n’y a pas un théâtre mais des théâtres occitans : de multiples formes pour mettre en scène et rejouer en langue d’oc les comédies, les drames et les mystères de l’humanité. Depuis les représentations de rue, liées aux fêtes religieuses et aux carnavals, en passant par la renaissance félibréenne, et jusqu’aux expériences actuelles du théâtre professionnel, un riche corpus s’est constitué.

Notre colloque – et le présent dossier – se sont placés dans le sillage ou en parallèle de travaux importants sur le théâtre d’oc, inventaire, édition et analyse dont nous voudrions rappeler quelques exemples, évidemment non exhaustifs :

  • Les recherches en cours sur le Théâtre de Béziers, menées par une équipe dirigée par Bénédicte Louvat dont l’objectif principal est l’édition critique (classiques Garnier, un tome édité et le second en cours d’édition à ce jour) de ce corpus dont l’originalité et l’inscription dans la société biterroise du XVIIe siècle sont ainsi mises en évidence.

  • L’inventaire réalisé par Jean Eygun, Repertòri del teatre occitan, 1550-1800, Bordeaux, Association pour l’étude du texte occitan, 2003. L’ouvrage est disponible aux éditions Letras d’òc, créées et dirigées par le même Jean Eygun1.

  • La revue Auteurs en scène. Théâtre d’oc et d’ailleurs, codirigée par Marie-Hélène Bonafé, Jean Lebeau et Jacques Nichet, coédition Théâtre des Treize Vents / Centre dramatique National Languedoc Roussillon / Les Presses du Languedoc. Six numéros ont paru entre 1996 et 2004 (Max Rouquette ou la tradition théâtrale ; Bernard Manciet, la voix d’une œuvre ; André Benedetto, un homme-théâtre ; Robert Lafont, un impossible théâtre ; Jan dau Melhau, poète, paysan, païen ; Yves Rouquette entre parole et spectacle). Après deux décennies d’interruption, nous apprenons la sortie imminente chez Domens (Pézenas) d’un numéro consacré à Claude Alranq.

  • Marie-Hélène Bonafé, comme sa sœur Catherine, dont il va être aussi question à la fin de ce dossier, a en commun avec Claude Alranq d’avoir été de l’aventure du Teatre de la Carrièra dans le dernier quart du XXe siècle.

  • Les travaux d’Alranq édités en 2002 chez Domens à Pézenas en deux volumes – inventaire : Répertoire du théâtre d'oc contemporain. 1939-1996, et analyse : Théâtre d'oc contemporain ou les arts de jouer du Midi de la France qui nous donnent une vision plus claire de ces « arts de jouer ». Il s’agit d’un travail de référence en la matière sur lequel nous ne cesserons de revenir tout au long de ce numéro.

Alranq, en s’appuyant sur les travaux de Philippe Gardy2 sur la poésie contemporaine d’oc, avait repris à son compte l’image de l’écriture « en archipel ». Cette myriade d’îles et d’îlots lui permettant d’évoquer tout autant la dispersion et la variété que la construction d’un ensemble cohérent avec ses échanges, ses circulations, ses contacts. Nous nous proposons donc ici de voyager entre ces territoires, dans le temps et dans l’espace, afin de mettre en lumière la cohérence de l’« archipel » mais aussi les ruptures et les transformations qui le façonnent.

Le théâtre de l’Ancien Régime est déjà, à lui seul, varié, et présent sur un vaste territoire, depuis la Provence à la Gascogne, en passant par les Alpes ou le Rouergue. Nous ouvrons donc le dossier avec une série de travaux consacrés à l’émergence de l’écriture dramaturgique occitane, aux premières traces de performances, de mouvements, de mise en gestes et en corps d’un langage nouveau. Ainsi Gilda Caïti-Russo étudie-t-elle la « mise en scène de la parole d’oc au Moyen-Âge » en s’appuyant sur des textes de troubadours et sur des ensenhaments (répertoires de jongleur) où « la figure mythique et en quelque sorte maudite du jongleur » occupe une place centrale. À la suite, Jean Sibille propose un travail sur la langue des Mystères alpins, ces premiers grands textes dramaturgiques en langue d’oc, véritables témoignages d’une période de transition tout autant littéraire que linguistique. Dans une démarche comparatiste, Laurent Alibert met en regard le théâtre occitan de cette même période avec les Mystery plays anglais, son « esquisse comparative » permet de poser un autre regard sur ces représentations sacrées qui préparent la naissance du théâtre moderne.

Le théâtre qui couvre la période allant du XVIe au XVIIIe siècle est mis à l’honneur par divers travaux qui soulignent l’importance de la représentation, de la mise en scène et du jeu dans la société méridionale moderne. Ce moment « baroque » a d’ailleurs inspiré Molière dont nous avions fêté, à l’occasion de ce colloque en 2022, les 400 ans de la naissance. Florian Vernet, auteur d’une édition critique de Gaspard Zerbin, revient sur le dramaturge aixois du début du XVIIe siècle en soulignant son originalité, son anticonformisme tout autant que son ancrage dans l’univers de la Commedia dell’arte. Bénédicte Louvat s’attarde sur la dernière période du théâtre de Béziers avec une étude du dernier recueil collectif de pièces jouées le jour de l’Ascension, à l’occasion des fêtes des Caritats. Ces « derniers feux du Théâtre de Béziers » sont aussi ceux d’un lien étroit qui unit la cité, la ville d’oc à la représentation théâtrale dans sa langue quotidienne. Xavier Bach et Pierre-Joan Bernard s’intéressent quant à eux à la place de la musique et du chant dans le théâtre occitan des XVIIe et XVIIIe siècle. Une place qui évolue au fil des siècles, au cours des modes et des inspirations mais qui, malgré les évolutions, ne s’efface pas, témoignant de l’importance du chant dans le jeu théâtral. Enfin, Jean-François Courouau clôture cet ensemble avec un article présentant l’œuvre du provençal Jean-Baptiste Coye : Lou Novy para (1743). Une pièce dont la proximité avec les modèles esthétiques et linguistiques français s’explique par l’ambition littéraire de son auteur qui souhaite situer le provençal au même niveau que la création théâtrale de langue française.

En ce qui concerne le XIXe siècle, le présent dossier se concentre sur le théâtre de Théodore Aubanel (notamment Lou Pan dóu pecat joué à l’occasion des Fêtes Latines de Montpellier, en 1878), et sur le genre du « dramo ». Corinne Lissalde, par une étude de la correspondance entre Aubanel et Legré nous fait découvrir l’écrivain avignonnais au travail, conscient des enjeux d’un théâtre en provençal de haute qualité, confronté aux difficultés concrètes de la mise en scène, de la recherche de comédiens et de la diffusion… Une étude qui met en lumière le parcours d’élaboration du Pan dóu pecat à laquelle fait écho l’article de Jean-Claude Forêt proposant de replacer la pièce dans le contexte, plus large, du théâtre français et européen de l’époque. Le succès d’Aubanel aux fêtes latines fait cependant office d’exception (y compris dans la propre carrière d’Aubanel puisque le reste de son théâtre est demeuré méconnu), et nous savons bien que de nombreux textes sont malheureusement restés inédits et n’ont pas connu de diffusion scénique. La question de la possibilité d’un théâtre en langue d’oc se pose avec force. Le cas de Lazarine Nègre (Lazarino de Manosco) et de sa pièce manuscrite inédite Amour de maire est éloquent. Sylvan Chabaud propose l’étude de quelques passages transcrits de cette œuvre dont la réception semble avoir été plus que limitée qui mêle, de façon très originale, autobiographie et dramaturgie pour exprimer la condition féminine au XIXe siècle.

Le XXe siècle fait l’objet d’un développement en trois parties. La première se concentre sur le début du siècle avec deux exemples concrets : la présentation que propose Claire Torreilles du théâtre en languedocien d’Émile Barthes et l’étude de la pièce L’Oulo d’Arpian du provençal Marius Chabrand que signe Emmanuel Desiles. Nous y découvrons un théâtre « félibréen » qui jouit d’un certain succès local et illustre une vitalité créatrice et un engouement populaire. La seconde partie met en lumière l’écriture dramaturgique du poète et romancier Jean Boudou auteur d’un théâtre inédit dont le manuscrit, conservé au Cirdoc- Institut occitan de cultura, est présenté par Jean-Claude Forêt ; cette seconde partie fait aussi la part belle, grâce au travail d’Olivier Pasquetti, à la pièce L’Or d’en Mascouinat (2001) que le poète et chanteur contemporain Jean-Luc Sauvaigo a écrite pour le théâtre niçois de Francis Gag.

Notre exploration de l’archipel du théâtre d’oc s’achève par deux articles analytiques et deux comptes rendus d’ouvrages essentiels. Ainsi Marie-Jeanne Verny s’intéresse-t-elle à la période fertile des années 1970 et à l’aventure, qui couvre un quart de siècle, du théâtre de la Carrièra. Ses travaux nous permettent de saisir les défis relevés par la compagnie et son engagement dans une écriture exigeante et militante. Ce théâtre d’oc qui se professionnalise et se structure est aussi celui du niçois Francis Gag que Rémy Gasiglia met à l’honneur en étudiant plus précisément ses « comédies historiques ».

Notre revue se veut aussi l’écho des publications les plus contemporaines. Ainsi avons-nous souhaité clôturer ce dossier par l’évocation de deux ouvrages récemment parus qui font magnifiquement écho à nos réflexions : Résurgence, quinze années au Teatre de la Carrièra (1971-1986) de Catherine Bonafé et Il fallait être fou d’André Neyton du Centre dramatique occitan de Toulon. Claire Torreilles et Sylvan Chabaud présentent, à tour de rôle, ces deux témoignages poignants d’acteurs incontournables de la scène théâtrale occitane contemporaine. Deux regards de l’intérieur, au cœur des événements où ce théâtre occitan met en scène les luttes politiques et sociales du temps, qui viendront compléter ce dossier et, nous l’espérons, inspireront les générations à venir.

La ligne éditoriale de la revue Plumas mettant l’accent sur l’ouverture aux langues de France, nous terminons ce dossier par deux panoramas sur le théâtre en langue corse et en langue bretonne. Ange Pomonti nous fait ainsi découvrir l’écriture dramaturgique corse, son émergence et son évolution, notamment le rôle qu’elle a joué dans le mouvement dit du « riacquistu » et sa place dans la création actuelle. Erwan Hupel revient quant à lui sur l’histoire du théâtre en langue bretonne depuis les pièces sacrées du XVIe siècle jusqu’aux compagnies professionnelles du XXIe siècle. Dans les deux cas de nombreux éléments de comparaison du théâtre breton et du théâtre corse, depuis leur émergence jusqu’à l’époque contemporaine, avec la situation occitane nous permettent de poursuivre nos réflexions, plus largement, sur un théâtre en langues de France qui questionne, via le jeu et la mise en scène, notre rapport aux langues et à l’altérité.

En revenant sur la variété et la qualité des travaux que nous avons eu la chance de rassembler pour ce numéro 5 de la revue Plumas, nous mesurons l’immensité de la tâche à poursuivre. Cette étude du théâtre d’oc est loin d’être complète, bien évidemment. Les expériences théâtrales de Robert Lafont3, de Max-Philippe Delavouët en Provence ou de Max Rouquette en Languedoc4 (qui sera adapté par la Comédie Française) font ici défaut… Des textes inexplorés ou peu diffusés (notamment les pièces de Charles Galtier ou de Bernard Manciet) auraient mérité d’être abordés tout comme le travail de Léon Cordes5 et la liste est encore longue… Il est aussi fondamental de citer les différentes compagnies qui ont porté et portent encore souvent la création actuelle : André Neyton et le Centre Dramatique Occitan, les comédiens de La Rampe TIO, de Gargamela théâtre et ART CIE, le théâtre de Francis Gag à Nice, le théâtre des Origines à Pézenas, La compagnie Rêve du 22 mars (et nous en oublions tant d’autres : preuve en est que la scène occitane est bien vivante).

Enfin, nous souhaitons dédier ce dossier à la mémoire de deux acteurs fondamentaux du théâtre d’oc : Michel Cordes, écrivain, comédien, metteur en scène (notamment de Max Rouquette – Lo Miralhet, ou de Léon Cordes, Menerbas 1210) et Annette Clément, une autre figure des débuts du Teatre de la Carrièra (comédienne et directrice de compagnie théâtrale, actrice majeure du théâtre d’oc contemporain) qui nous ont quittés en 2023 alors que nous travaillions sur ce numéro.

1 https://www.letrasdoc.org/fr/les_auteurs/jean-eygun/

2 Philippe Gardy, Une écriture en archipel, cinquante ans de poésie occitane (1940-1990), Fédérop, 1992.

3 Nous renvoyons ici au chapitre « L’œuvre théâtrale » présent dans Dire l’homme le siècle, l’œuvre littéraire de Robert Lafont, Montpellier, PULM

4 Une partie de son théâtre inédit a d’ailleurs fait l’objet d’une édition récente : Max Roqueta, teatre, Tolosa, Letras d’òc, 2020.Voir aussi le

5 Sur Cordes, nous renvoyons au dossier Leon Còrdas/Léon Cordes. Canti per los qu’an perdu la cançon, Sous la direction de Marie-Jeanne Verny, Revue

1 https://www.letrasdoc.org/fr/les_auteurs/jean-eygun/

2 Philippe Gardy, Une écriture en archipel, cinquante ans de poésie occitane (1940-1990), Fédérop, 1992.

3 Nous renvoyons ici au chapitre « L’œuvre théâtrale » présent dans Dire l’homme le siècle, l’œuvre littéraire de Robert Lafont, Montpellier, PULM, 2022, p. 211-229 et au numéro de la revue Auteurs en scène.

4 Une partie de son théâtre inédit a d’ailleurs fait l’objet d’une édition récente : Max Roqueta, teatre, Tolosa, Letras d’òc, 2020. Voir aussi le numéro spécial « Le théâtre de Max Rouquette », Les cahiers Max Rouquette, N°13, Montpellier, Association Amistats Max Rouquette, 2019.

5 Sur Cordes, nous renvoyons au dossier Leon Còrdas/Léon Cordes. Canti per los qu’an perdu la cançon, Sous la direction de Marie-Jeanne Verny, Revue de Langues Romanes, T. CXX, n°2, 2016, disponible en ligne : https://journals.openedition.org/rlr/393 et à l’article de Philippe Gardy « Léon Cordes écrivain et paysan. L’expérience du Paysan du Midi (fin des années 1940 - début des années 1950) : un billet d’humeur en occitan dans la presse agricole en français », Lengas n° 94, 2023 : https://doi.org/10.4000/lengas.7747