Florian Vernet et la liberté des contes

Claire Torreilles

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Claire Torreilles, « Florian Vernet et la liberté des contes », Plumas [Online], 7 | 2025, Online since 25 November 2025, connection on 13 December 2025. URL : https://plumas.occitanica.eu/1985

Nous présentons trois contes publiés par Florian Vernet qui aborde la littérature de jeunesse avec le style et l’humour qu’on lui connaît mais aussi avec une solide réflexion sur l’enseignement de la langue.

Presentam tres contes publicats per Florian Vernet qu’abòrda la literatura de joinesa amb l’estil e l’umor que li conoissèm e mai amb una reflexion solida sus l’ensenhament de la lenga.

We present three tales published by Florian Vernet that approach children’s literature with the style and humor we know, but also with a solid reflection on language teaching.

Pour toute une génération d’enseignants d’occitan, la sienne, la nôtre, Florian Vernet a été un guide savant et amical. Venant de l’enseignement de l’espagnol, il n’a cessé de nous informer de ce que la didactique des langues produisait de plus intelligent sur le plan théorique et de plus utile à nos pratiques dont il déplorait ce qu’il appelait par euphémisme « l’éclectisme ». De nombreux articles en témoignent, notamment dans Lenga e País d’òc de 1995 à 20051.

Florian Vernet nous a appris précisément à apprendre à enseigner l’occitan, à dépasser les facilités de l’intuition ou de la connivence pour évaluer les difficultés linguistiques d’un support, d’une démarche, pour véritablement construire des apprentissages. Le plaisir de conter par exemple n’est plaisir partagé que dans certaines conditions. Si la transmission des contes est un traditionnel vecteur de langue et de culture occitanes, toujours efficace et relayé aujourd’hui par un appareil éditorial de qualité, allant des albums aux recueils illustrés, il reste que la pédagogie du conte ne s’improvise pas, comme la plupart des enseignants en ont acquis l’expérience. Le conte est un bien commun à la fois fortement codé et souple, adaptable aux personnes et aux circonstances. Florian Vernet insiste sur le travail préliminaire d’appropriation qui rend possible l’adaptation langagière concertée :

On utilisera une langue courante, dans les actes de communication simples : dialogue familier, récit simple. Priorité sera donnée à l’oral, à la grammaire implicite. On fera jouer les acquisitions réflexes, la répétition2

Dans la préface à Los contes a l’escòla ?, un premier recueil de contes classés par ordre de difficulté croissante et annotés, publié en 1985 au Crdp de Nice, il écrivait :

Les contes en effet ne doivent pas être conçus, de façon univoque, comme une référence systématique au passé, ils sont de tous les temps. Ils sont aussi l'occasion de mettre en cause les idées reçues (celles d'hier comme celles d'aujourd'hui) et toutes les attitudes qui réduisent l'enfant au rôle de consommateur passif d'images, de savoirs, de valeurs et de traditions. Par l'importance donnée à la recréation, puis à la création les contes permettent de porter sur le réel un regard neuf et critique, de le subvertir et de le transformer3.

Ce préambule (trop) pédagogique ne va-t-il pas à l’opposé de la liberté annoncée des contes ? Quelle créativité exercer à l’intérieur de ce dispositif raisonné et raisonnable ? C’est précisément là que l’écrivain se révèle, faisant liberté de la contrainte. Loin de se placer dans la parodie qui n’amuse que les adultes – et, sous prétexte de modernité, un trop grand nombre d’éditeurs - Vernet recrée le monde vrai des contes. Plus vrai que vrai parfois. En tout cas plus proche. Il a la culture des contes. Il en connaît les sources et les chemins, la géographie poétique, les personnages, hommes et bêtes et créatures hybrides, et surtout il se plaît à raconter, à jouer selon les règles ce jeu permanent du connu et de l’inconnu d’où surgit la surprise.

Trois titres

Les trois ouvrages de Florian Vernet que nous présentons ne sont pas des nouveautés, mais ils n’ont rien perdu de leur éclat et se relisent toujours, à tout âge, avec le même bonheur. Ce sont :

La princessa Valentina e autres contes / La princesse Valentine et autres contes, 6 contes, traduction de Claire Torreilles, préface de Philippe Martel, Montpellier, CRDP, 2007. 191 p. Illustrations de Maevi Colomina. Avec CD audio de l’intégralité des contes en occitan.

La princessa Valentina e autres contes / La princesse Valentine et autres contes, 6 contes, traduction de Claire Torreilles, préface de Philippe Martel, Montpellier, CRDP, 2007. 191 p. Illustrations de Maevi Colomina. Avec CD audio de l’intégralité des contes en occitan.

Lo grand secrèt de las bèstias e autres contes / Le grand secret des bêtes et autres contes, 7 contes, traduction et préface de Claire Torreilles, Montpellier CRDP, 2011. 135 p. Illustrations de Maevi Colomina. Avec un CD audio de l’intégralité des contes en occitan.

Lo grand secrèt de las bèstias e autres contes / Le grand secret des bêtes et autres contes, 7 contes, traduction et préface de Claire Torreilles, Montpellier CRDP, 2011. 135 p. Illustrations de Maevi Colomina. Avec un CD audio de l’intégralité des contes en occitan.

Contes a rebors, 5 contes, traduction de Jaumeta Caussade, IEO, 2018. 98 p. Illustration de couverture de Sybille Delacroix.

Contes a rebors, 5 contes, traduction de Jaumeta Caussade, IEO, 2018. 98 p. Illustration de couverture de Sybille Delacroix.

Dans ces éditions bilingues l’ensemble des contes est donné d’abord en occitan puis en français, sans aucun éclairage pédagogique, hormis leur appartenance à des collections de littérature de jeunesse à visée éducative : « Los camins de la vida » au CRDP de Montpellier4, « Joventut » aux éditions IEO. Un appareil didactique avait été élaboré au CRDP pour accompagner en ligne les deux ouvrages publiés en 2007 et 2011. Nous en donnons des extraits en annexe.

Le pouvoir de la langue

Une langue juste et une rare maîtrise des effets d’oralité dans l’écriture : le style de Vernet séduit d’emblée aussi bien dans les nouvelles que dans les contes. L’humour, la familiarité limpide du discours, une souplesse de la phrase, rendent la lecture facile, la portent à l’oral, comme le font entendre les pistes enregistrées avec les voix de Fanette Suberroque, Miquèla Stenta, Florian Vernet, et, fugitivement, sa fille Flore elle-même. Le conteur, lui, est bien présent. Il intervient dans le récit, s’exclame, commente :

De tot biais, i a pas que dins los contes que los princes esposan las pastoras, e aquò es pas un conte mas la vertat vertadièra : o juri e mai escupissi !

De toute façon, ce n’est que dans les contes que les princes épousent les bergères, et ceci n’est pas un conte mais la vérité vraie : juré craché !5

Ce sont, écrit Philippe Martel, des « contes faits main6 », pour être contés, dans l’intimité ou à l’école, à des enfants d’âges divers (et agréablement lus par les adultes  !). Les dédicataires qui ont pour nom : Auda, Maria et Flòra ne sont pas pour rien dans la féminisation d’histoires où bien souvent ce sont des héroïnes, jeunes, vives, moqueuses, qui remplacent au pied levé les héros des contes merveilleux traditionnels. Il y a Valentina, « polida coma tot… e complètament fòla ! Pas fòla del tot, de fach, mas plena de fantasiá7. / jolie comme tout… et complètement folle ! Pas folle du tout, en fait, mais pleine de fantaisie ». Il y a la pauvre Faneta qui domine sa peur face à « Marcamal Primièr… un omenàs, un mostre, un gigant afrós, pelut, barbassut, pudent que l’espiava amb un aire marrit tot plen / Marquemal premier… un monstre, un géant affreux, poilu, barbu, puant qui la regardait d’un air vraiment méchant8. ».

Il y a Agata, bergère qui garde ses brebis en lisant toute la bibliothèque du château. Couettes au vent, pour l’amour du prince Filemon, elle fonce en quête de la boîte magique, « lo vira-vira », que le géant Trencamontanha a volé au roi. Le récit suit à la course l’héroïne infatigable. On le sait, le temps n’est plus à faire durer le conte une semaine, comme faisait la mameta de l’auteur racontant L’homme de toutes les couleurs9. Il faut aller vite, comme les héros et héroïnes qui se transportent sans cesse d’un pays à un autre, filant, tels des fusées, vers les contrées les plus lointaines, franchissant les montagnes immenses ou les espaces intersidéraux, selon l’occasion, sur les ailes du vent, de l’Aigle, sur un tapis volant et même à dos de chauve-souris, ce qui est bien plus risqué ! Mais on ralentit quelquefois pour regarder le monde où l’on passe de l’horreur à l’émerveillement, de déserts affreux sans eau ni fleurs, jonchés de statues de sel, à de charmants ruisseaux, à des chemins bordés d’arbres « clafits d’aucelons cantaires e de prats ont guimbavan lèbres e conilhs / remplis d’oiseaux chanteurs et de prés où gambadaient lièvres et lapins10. »

Le temps des contes est élastique. Il peut s’arrêter pour cent ans, comme il arrive au prince Yoshiro que la princesse Mitsokò vient réveiller comme il l’avait réveillée, elle aussi, cent ans plus tôt11 ! Il peut céder au pouvoir de la parole, comme le cortège royal de l’empereur de Chine arrêté net dans sa promenade par le jardinier (faux) tombé du ciel qui promet des contes et des contes et ravit l’assemblée par ses menteries poétiques. C’est alors l’espace qui se déforme fantastiquement :

Tot i èra a rebors. Las flors butavan amb la tèsta en bas, e las rasigas a l’aire. Las brancas dels arbres, son elas que fasián bolegar lo vent e quand la plueja tombava, las gotas montavan cap a las nívols12.

Tout était à rebours. Les fleurs poussaient la tête en bas et les racine en l’air. les branches des arbres, ce sont elles qui faisaient bouger le vent et quand la pluie tombait, les gouttes montaient vers les nuages.

Rien d’immoral dans ces menteries à l’issue bienfaisante, ni même dans quelques arnaques aux moyens douteux mais aux fins heureuses, comme celles des trois messagers de Barbarie qui finissent par convaincre le roi de l’existence à l’endroit d’un monde à l’envers :

Majestat, en Barbaria los cagaròls lauran los rocasses, las vacas cantan las vèspras, las fedas fan d’uòus dins lo fen e las truèjas los covan !
E puèi ? demandèt lo rei curiós.
Ai vist de carpas e de trochas se sauvar pels aires, amb la coa tota rabinada !

Majesté, en Barbarie, les escargots labourent les rochers, les vaches chantent les vêpres, les brebis font des œufs dans le foin et les truies les couvent !
Et puis ? demanda le roi curieux.
J’ai vu des carpes et de truites se sauver dans les airs, avec la queue toute brûlée !

Rien de plus séduisant que ces « contes à rebours », dans l’antique tradition littéraire des impossibles13, où Vernet excelle, soit pour faire rêver, soit pour berner les rois crédules. Brandasaca s’appelle celui que le pauvre Jean convainc de se noyer tout seul dans les douves du château, après quoi le conteur crie victoire : « Avèm totes ensems proclamat la Republica14 / Nous avons tous ensemble proclamé la République. » Un autre est simplement, comme chez Max Rouquette, Lo Rei Crudèl15. Roi cruel et bête mais aussi ridicule16, ce qui change tout : il provoque à la fin le rire irrépressible et libérateur de ses sujets. Vernet, dans un autre recueil, lui attribue un frère orgueilleux et non moins ridicule, lui aussi chassé par l’hilarité générale :

Sabètz cossí van las causas, un que ritz, dètz que se i meton, cinc minutas après, la plaça èra pas pus qu’un grand cacalàs, e d’unes se rotlavan pel sòl de rire, se pissavan dessús que ne podián pas, ne ploravan, e mai n’i aguèt dos o tres que se moriguèron d’un infart, de la panta que se fasián17

Vous savez comment vont les choses, un qui rit, dix qui s’y mettent, cinq minutes après la place n’était plus qu’un grand éclat de rire. Certains se roulaient par terre de rire, se pissaient dessus, ils n’en pouvaient plus, ils en pleuraient, et même il y en eut deux ou trois qui moururent d’un infarctus, du fou-rire énorme qui les prenait...

De moindre portée symbolique, mais simplement et traditionnellement plaisants, sont les contes de niais qui enchaînent bêtises et maladresses au pays de Pamparigosta, sinon de Badaluna : histoires déjantées de pluie et de macaronis, de villageois qui, pour éliminer une taupe malveillante, ne trouvent rien de mieux que de l’enterrer vivante… Légers et courts, ces contes relèvent de la veine inépuisable des beotiana, où l’on se moque des simplets, des imbéciles toujours censés venir du village voisin !

Si le rire ou la bonne humeur au second degré représentent, sous la plume de Vernet, les ressorts essentiels des contes, ce n’est pas au prix d’une édulcoration infantilisante. Dans le monde des bêtes, par exemple, il faut dire l’indicible, la souffrance, la mort sous toutes ses formes, il faut plonger dans les trous noirs de la raison avec la peur primitive de l’inconnu. Certes, l’enfant aime avoir peur des monstres : serpents soufflant le feu, loup géant qui se bat et meurt comme un chevalier et dont le héros doit boire le sang, sauterelles carnivores de trois mètres de long et araignées velues de cent kilos. Plus dérangeants sont les « grands secrets » des bêtes. Souveraines en leur domaine, elles parlent – c’est bien connu – et communiquent dans un au-delà étrange de la parole que seuls de rares élus peuvent entendre, à leurs risques et périls, au cours d’une véritable initiation. C’est l’Aigle géant qui sait parler toutes les langues de la terre et que l’Homme de toutes les couleurs délivre chaque matin de sa cage de fer pour qu’il revienne tous les soirs lui donner les nouvelles du vaste monde. C’est encore, dans le beau conte « Vila muda », un simple chat des rues qui, dans la ville muette des hommes ayant désappris à parler, transmet le langage humain au petit Ulysse que l’esprit d’enfance libère de la routine silencieuse. Dans la nature, le chat lui apprend patiemment les choses et les mots :

Sarra-te de l’arbre, escota çò que ditz, en dedins, e puèi monta dessús, coma ieu, per escotar la cançon de las fuèlhas. E aquò, veses, aquí, es una flor, e aquò una pèira, e aquò un aucèl.

Approche-toi de l’arbre, écoute ce qu’il dit, à l’intérieur, et puis monte dessus, comme moi, pour écouter la chanson des feuilles. Et ça, tu vois, là, c’est une fleur, et ça une pierre, et ça un oiseau18.

Les contes comme leçon de liberté, par leur force originelle et grâce à la médiation de la langue. Florian Vernet ne dit rien d’autre, ni les écrivains dont la langue d’enfance a été celle des contes. Ni surtout Max Rouquette pour qui les contes ouvrent « le fabuleux pays de la liberté ». En 1966, il écrivait, en préface aux Contes de Gasconha de Bladèr publiés pour la première fois dans leur version occitane :

I a quicòm de mai grand qu’aqueles contes nos pòdon tornar desvelar. […] Aquel quicòm est simplament la libertat de la creacion. […] Una libertat qu’a romput tota cadena, e que sens empacha pren per son ben lo mond, la tèrra e l’eternitat. […] Libertat de l’image, libertat d’un ritme que s’endeven miraclosament au raconte, coma l’alenar seguís lo pas dau que corrís, libertat unenca de la paraula : per tot dire, libertat divenca dau creaire, de l’òme creaire19.

Il y a quelque chose de plus grand que ces contes peuvent encore nous dévoiler. […] Ce quelque chose est simplement la liberté de la création. […] Une liberté qui a rompu toute chaîne et qui sans obstacle prend pour son bien le monde, la terre et l’éternité. […] Liberté de l’image, liberté d’un rythme qui s’accorde miraculeusement au récit, comme le souffle suit le pas de celui qui court, liberté unique de la parole : pour tout dire, liberté divine du créateur, de l’homme créateur.

1 Cf. document annexe, note 24.

2 Florian Vernet, « Des contes en classe ? Pour apprendre l’occitan ? » Lenga e País d’òc, n°43, p. 71.

3 Lei còntes a l’escòla, Florian Vernet, Colette Beaudon, C.R.D.P. de Nice, 1985.

4 Claire Torreilles, « Autour d’une revue pédagogique : Lenga e país d’òc (1983-2012) ». En ligne à l’adresse https://www.felco-creo.org/

5 « Lo vira-vira » in La princessa… p. 69.

6 Philippe Martel, préface à La princessa… p. 5.

7 « La princessa Valentina », p. 13.

8 « Lo pissa-lach », La princessa… , p. 35.

9 « Istòria interminabla e mai sens fin de l’òme de totas las colors », in Lo grand secrèt… p. 43.

10 « Istòria interminabla… » in Lo grand secrèt…, p. 48.

11 « L’iscla de las princessas perdudas » in Lo grand secrèt…, p. 32.

12 « Lo mai messorguièr ? Soi ieu ! » in Lo grand secrèt… p. 57.

13 Nous donnons en annexe quelques exemples d’adunata (en grec : les impossibles) dans la poésie antique.

14 « Conte de Joan amb lo Rei », Grand secrèt… p. 20-26. Chez le folkloriste breton François-Marie Luzel, le conte a pour titre : «Le meunier et son

15 Max Rouquette, « Lo rei crudèl », Verd Paradís II, IEO, 1974, p. 195.

16 « Lo rei crudèl, lo savi e lo fòl », La Princessa… p. 57-66.

17 « Conte del rei orgulhós » Contes a rebors, p. 26.

18 « Vila muda », Lo grand secrèt… p. 68.

19 J-F Bladèr, Contes de Gasconha, prumèra garba (contes epics), Toulouse IEO, 1966, réée. 1978. Prefaci de Max Roqueta, p. VI.

20 « Lo rei crudèl, lo savi e lo fòl », La Princèssa… p. 66.

21 « Quand los macarònis tombèron del cèl », La Princèssa… p. 55.

22 « Lo rei crudèl, lo savi e lo fòl », La Princèssa… p. 72.

23 « Lo rei crudèl, lo savi e lo fòl », La Princèssa… p. 63.

24 Articles de Florian Vernet dins Lenga e País d’òc : 1995, n°27 : « Pédagogie du texte littéraire », p. 5-40.1996, n°29 : « Unitat didactica en

25 Joseph-Maria Artigal « Quelques considérations sur l’acquisition d’une nouvelle langue ». Lenga e País d’oc, n°23, p.27-44.

Elements de didactica dels contes

A prepaus de La princessa Valentina e autres contes de Florian Vernet. (Claire Torreilles et Gilles Arbousset, octobre 2007).

Los contes de Vernet son faches per èsser diches, aquò se sent tre la premièra linha. Pas d’efièch descriptiu ni de digressions, mas lo ton de lo que pren la paraula sens far d’alonguis : « La Princessa Valentina… èra polida coma tot, e complètament fòla. Pas fòla del tot, de fach, mas plena de fantasiá… » amb l’art de passar lis per avançar dins lo recit sens s’escotar parlar, de donar d’interjeccions « Zo mai ! Aquela empega ! », de mots o d’expressions familiars : « una rostassa, un colhonàs, bogre de gandard e de branda-biaça de rei de m’as colhonat quand t’ai vist20…. »

Per preparar la compreneson orala

Se demandar : de qué van comprene, dins quina proporcion ? Dins quinas condicions pòdi començar de contar ? S’agís pas qu’ajan tot lo vocabulari, evidentament, s’agís qu’ajan los mots claus per se i arrapar en bastissent a mesura lo sens de l’istòria.

Se prenèm per exemple La princessa Valentina, cal plan evaluar en preparacion de classa, en foncion dels aquesits a un nivèl donat, çò que passarà del lexic e las dificultats que se podràn presentar. Pensar siá a glosar al moment de contar, siá a simplificar l’expression, siá a trencar tal o tal passatge.

Lexic

Valentina demanda d’aprene o de revisar, o de tornar mobilizar :
- las chifras de un a cent
- lo cèl, las nívols, la tèrra, la mar, las aigas, lo còs uman
- los animals : la formiga, l’agla, lo dalfin, la taupa
- los qualificatius : gròs, gras, desagradiu, laid, catamiaula, moquet, decebut, polit, intelligent, amorós, grand, pichòt
- los vèrbs : rendre visible, invisible, escondre, amagar, apichonir.

Tematica

Cada conte tracha d’una tematica diferenta, donc porgirà de lexic sus tal o tal domeni privilegiat (l’ostal dins lo Vira-Vira, lo campèstre, la noiridura dins lo Pissalach, lo vilatge dins Badaluna) Lo lingüista-pedagòg qu’es Florian Vernet pren plaser a d’enumeracions de sinonims risolièrs coma :

- es un pauc fadat (timbol, falord, innocent, fat, madur, se volètz21)
- partiguèt als quatre-pès, al mai córrer, a la galaupada, a cambas ajudatz-me22
- un emplastre, un carpan, una mòca, una mornifla, una morrada, un gautal, un bacèl23

Aquesta libertat de ton dona idèa del trabalh sul lengatge que lo contaire deu far per assegurar compreneson e expressivitat (donar d’equivalents dels mots essencials, joslinhar d’un « sabètz ! » o d’una gestuala « coma aquò, vesètz ! »). Lo professor en posicion de contaire serà pas esclau de l’escrich, adaptarà en foncion de çò que vòl desvolopar coma competéncia en cò de sos escolans.

Per la mesa en òbra didactica

Citam Florian Vernet didactician. Dins Lenga e país d’òc24 n° 43, p. 71, publica : « Des contes en classe ? Pour apprendre l’occitan ? » A la question pausada respond aquò :

Des contes en classes, pour apprendre l’occitan, oui, s'ils sont adaptés aux objectifs et aux élèves.
Oui s'ils sont abordés après que les éléments qu'ils contiennent ont été manipulés au préalable au cours d'une unité didactique.
Oui s’ils s’inscrivent dans un projet pédagogique global dont ils peuvent devenir le moteur.
Pour les débutants, on peut utiliser des livres pour enfants (dont le texte peut être en français et qu'on adapte) : ceux-ci présentent l'avantage d'être accompagnés d'images qui peuvent aider dans les diverses phases d'utilisation pédagogique.
On utilisera une langue courante, dans des actes de communication simples : dialogue familier, récit simple. Priorité sera donnée à l'oral, à la grammaire implicite. On fera jouer les acquisitions réflexes, la répétition ...
Rappelons les phases d’une unité didactique :
- 1. Présentation
- 2. Explications éventuelles
- 3. Répétition
- 4. Appropriation
a) exploitation
b) fixation
c) transposition.

Contar e desvolopar la compreneson orala

Prene un tròç que presente una unitat de sens. Aquò implica de contar, un còp o dos còps, al ritme e amb la gestuala que convenon. Rampelam un dels principis de J.- M. Artigal : far precedir lo gèst a la paraula, preparar la compreneson de la paraula per la mesa en scèna del raconte, « far passar la lenga per lo còs ». La mesa en scèna dels personatges per l’ensenhaire se fa amb una mesa en espaci del conte e una mesa en votz25.

Lo contaire, a mesura que conta, s’avisa del nivèl de compreneson de son auditòri. Sap que cal arrestar, reprene, far anticipar… Lo professor el, aurà de far l’evaluacion mai fina d’aquesta compreneson orala, en pausant de questions barradas. L’exercici deu permetre de reformular en fasent comprendre çò qu’es estat mal comprés o comprés de qualques-uns solament. Ex. : « Me podètz dire un mot, un nom qu’avètz retengut ? » D’un a l’autre, lo fial serà tirat per reformular l’istòria.

Atencion : es pas necite d’o comprene tot sul còp. Es pas necite ni conselhat de donar de legir l’escrich (es una autra competéncia). Es pas necite d’o dire tot en òc : la verificacion de compreneson pòt passar per lo francés, per un dessenh… serà lo moment de parlar de las illustracions. De donar la paraula als imatges fòrt bèls del libre. Trobar las frasas que son estadas retengudas per l’illustratritz per crear los imatges. Temptar de metre en evidéncia las relacions possiblas entre lo document iconografic e lo tèxt de Vernet : la redondància, la complementaritat, la divergéncia. La bastison del sens vendrà tanben del document iconografic.

Illustrations de Maevi Colomina

Illustrations de Maevi Colomina

Desvolopar l’expression orala

La fasa seguenta es de far parlar sus lo conte, o sus la partida de conte escotada. Se liga a la reformulacion, mas permet d’anar mai luènh. Tal personatge, tala situacion pòdon prestar a una interpretacion. Lo trabalh se pòt far en grops : imaginar la sequéncia seguenta, o una contunhacion de l’istòria, far intervenir un personatge-ajudaire, o un obstacle de mai, o far reagir autrament l’eròi dins tala o tala espròva… Cada grop prepara sa presa de paraula, se deurà explicar davant la classa, la règla estent per exemple que parlarà doas minutas a de reng (segon los nivèls, veire dins los programas la partida lengatgièra : produccion de discors de contunh). Aquesta fasa permet una apropriacion dels personatges, del vocabulari del conte supòrt. En primièr gra se pòt far amb de dessenhs, en segond gra amb d’enregistraments o solament en produccion orala seguida d’interaccion.

Desvolopar l’expression escricha

Pensar, per lo nivèl A1, qu’escriure es tornar escriure, recopiar una frasa per exemple (de preferéncia las frasas mai estereotipadas, mai formulàrias). Pensar qu’aquò fonciona tanben per lo nivèl A2, qu’es totjorn de bon far.

Escriure, prene lo quasèrn per fixar lo vocabulari, d’estructuras de frasas, de biaisses de dire particulars e que correspondon a de moments fòrts de la narracion, per que sián pas de « nòtas gramaticalas » desseparadas del trabalh sus lo sens.

Evidentament, segon qu’òm se situa al nivèl A1 o A2 o B1, la part d’escrich serà mai o mens importanta. Amb lo conte, se pòt far un trabalh de passatge de discors dirèct a indirèct…

Per exemple :

« Ont me mènas ? questionèt Tijoan.
- Laissa-me faire e cala-te »respondèt la formigueta que comencèt d’entreprene l’escalada de la polida cavilha de Valentina.
« Vint un, vint-e-dos, vint-e-tres… »

Imaginatz que Tijoan conta aquel episòdi a Valentina (far contar al present o al passat… segon lo nivèl) :

Li demandèri a aquela formigueta ont me menava, e ela me diguèt de me calar, de la laissar faire, mentre qu’entrepreniá l’escalada de ta polida cavilha. E tu, comptavas, comptavas, n’èras a vint e tres…

O lo contrari :

Son paire, lo rei de Cracolia, voliá que se maridèsse amb qualqu’un de coma cal, de plan ric, un autre rei o un prince per exemple. Valentina voliá pas, fasiá totjorn a son sicap. Un jorn, butat per sos conselhièrs, lo rei s’embufèt, la menacèt e li demandèt de prendre una decision. Valentina ensagèt plan de discutir, pas res a faire.

Imaginatz lo dialòg :

« - Ma filha, voldriái que te maridèsse amb qualqu’un de coma cal, de plan ric, un rei, un prince…
- Non, es pas mon idèa (n’ai pas enveja, perqué me maridar ?...)
- N’i a pro, ara (N’ai mon sadol, ara, de tas responsas…) te cal prene una decision o….
- Mas papà, mon pichòt paponet… »

Aquela mesa en dialòg, per èsser mai accionala, se pòt integrar dins la preparacion d’una teatralizacion per exemple.

Desvolopar la competéncia de lectura

Far legir puèi lo tèxt (solament quand es estat plan correctament oralizat e quand es ben apropriat) siá en fasent escotar lo CD (aquò se pòt far a l’ostal, en metre per exemple lo conte sus MP3), siá en lectura silentosa. Lo CD se pòt utilisar dins la fasa « desvolopar la compreneson orala », mas aprèp l’oralizacion per lo professor : faràn la diferéncia entre lo ritme de narracion, la prononciacion, l’accent, e es aquò lo benefici que pòdon tirar d’una vertadièra « exposicion a la lenga ».

Legir en LV2 per venir legeire de literatura ?

Lo ròtle del professor es doble en fach : s’agís per el de transmetre la lenga per la practica mas tanben d’installar de « gèstes » de legeire.

Question màger Qu’es aquò legir ? Los collegians, que son estats acostumats a la lectura literària d’albums de literatura de joinessa dempuèi la mairala, n’an una representacion plan justa. L’ensenhaire de collègi ne deurà tenir compte. Sabon çò qu’es un libre. Coneisson la plaça de l’autor quand l’òbra li escapa. Comprenon que lo sens passa per una interpretacion personala, autorizada solide ! necita per tot dire, del tèxt.

Lo sens es plural, se bastís dins l’interaccion entre tèxte e legeire.

Un livre n’a pas d’auteur, mais un nombre infini d’auteurs. Car à celui qui l’a écrit s’ajoutent de plein droit dans l’acte créateur l’ensemble de ceux qui l’ont lu, le lisent ou le liront. Un livre écrit, mais non lu, n’existe pas pleinement. Il ne possède qu’une demi existence. C’est une virtualité, un être exsangue, vide, malheureux qui s’épuise dans un appel à l’aide pour exister. L’écrivain le sait, et lorsqu’il publie un livre, il lâche dans la foule anonyme des hommes et des femmes une nuée d’oiseaux de papier, des vampires secs, assoiffés de sang, qui se répandent au hasard en quête de lecteurs. À peine un livre s’est-il abattu sur un lecteur qu’il se gonfle de sa chaleur et de ses rêves. Il fleurit, s’épanouit, devient enfin ce qu’il est : un monde imaginaire foisonnant, où se mêlent indistinctement – comme sur le visage d’un enfant les traits de son père et de sa mère – les intentions de l’écrivain et les fantasmes du lecteur.

Michel Tournier, Le vol du vampire, Notes de lecture, Mercure de France, 1981, p. 10-11.

Tot escotant, legissent, jogant los contes de Florian Vernet, los collegians se van apropriar la lenga e la cultura occitanas… Desvoloparàn tanben de competéncias mai generalas, vendràn legeires de literatura. Per se comprene e comprene lo mond.

Exemples d’adunata dins la poesia latina :

Ovide, L’art d’aimer, I, 271-273

Vere prius uolucres taceant, aestate cicadae,
Maenalius lepori det sua terga canis,
Femina quam iuueni blande temptata repugnet.

Les oiseaux se tairaient au printemps, et les cigales en été / le lièvre ferait fuir le chien du Ménale / avant qu'une femme ne repousse les tendres sollicitations d’un jeune homme.

Virgile, Bucoliques, I, 59-63

Ante leues ergo pascentur in æthere cerui :
Et freta destituent nudos in littore pisces.
Ante pererratis amborum finibus exul
Aut Ararin Parthus bibet : aut Germania Tygrin:
Quam nostro illius labatur pectore uultus.

On verra les cerfs agiles paître dans l’éther / et les mers abandonner les poissons à nu sur le rivage, / on verra, après avoir dans leur exil parcouru les terres les uns des autres,/ les Parthes boire l’eau de la Saône, ou la Germanie boire celle du Tigre,/ avant que les traits de ce héros s’effacent de notre cœur.

Ovide, Tristes, I, 1-10

In caput alta suum labentur ab æquore retro
Flumina : conuersis solque recurret equis :
Terra feret stellas : cælum findetur aratro :
Vnda dabit flammas : et dabit ignis aquas :
Omnia naturæ præpostera legibus ibunt.

À leur source, profonds, en coulant de la mer reviendront / les fleuves : ses chevaux retournés, le Soleil inversera sa course : / la terre produira les étoiles, le ciel sera fendu à la charrue, / de l’onde sortiront les flammes, et sortiront du feu les eaux : / tout ira à l’envers des lois de la nature.

1 Cf. document annexe, note 24.

2 Florian Vernet, « Des contes en classe ? Pour apprendre l’occitan ? » Lenga e País d’òc, n°43, p. 71.

3 Lei còntes a l’escòla, Florian Vernet, Colette Beaudon, C.R.D.P. de Nice, 1985.

4 Claire Torreilles, « Autour d’une revue pédagogique : Lenga e país d’òc (1983-2012) ». En ligne à l’adresse https://www.felco-creo.org/lenga-e-pais-doc-1983-2012-autour-dune-revue-pedagogique-claire-torreilles/

5 « Lo vira-vira » in La princessa… p. 69.

6 Philippe Martel, préface à La princessa… p. 5.

7 « La princessa Valentina », p. 13.

8 « Lo pissa-lach », La princessa… , p. 35.

9 « Istòria interminabla e mai sens fin de l’òme de totas las colors », in Lo grand secrèt… p. 43.

10 « Istòria interminabla… » in Lo grand secrèt…, p. 48.

11 « L’iscla de las princessas perdudas » in Lo grand secrèt…, p. 32.

12 « Lo mai messorguièr ? Soi ieu ! » in Lo grand secrèt… p. 57.

13 Nous donnons en annexe quelques exemples d’adunata (en grec : les impossibles) dans la poésie antique.

14 « Conte de Joan amb lo Rei », Grand secrèt… p. 20-26. Chez le folkloriste breton François-Marie Luzel, le conte a pour titre : «Le meunier et son seigneur ». En ligne à l’adresse : https://fr.wikisource.org/wiki/Contes_populaires_de_Basse-Bretagne/Le_Meunier_et_son_Seigneur

15 Max Rouquette, « Lo rei crudèl », Verd Paradís II, IEO, 1974, p. 195.

16 « Lo rei crudèl, lo savi e lo fòl », La Princessa… p. 57-66.

17 « Conte del rei orgulhós » Contes a rebors, p. 26.

18 « Vila muda », Lo grand secrèt… p. 68.

19 J-F Bladèr, Contes de Gasconha, prumèra garba (contes epics), Toulouse IEO, 1966, réée. 1978. Prefaci de Max Roqueta, p. VI.

20 « Lo rei crudèl, lo savi e lo fòl », La Princèssa… p. 66.

21 « Quand los macarònis tombèron del cèl », La Princèssa… p. 55.

22 « Lo rei crudèl, lo savi e lo fòl », La Princèssa… p. 72.

23 « Lo rei crudèl, lo savi e lo fòl », La Princèssa… p. 63.

24 Articles de Florian Vernet dins Lenga e País d’òc :
1995, n°27 : « Pédagogie du texte littéraire », p. 5-40.
1996, n°29 : « Unitat didactica en classa de lenga », p. 3-17.
1996, n°30 : « Interaccion en cors de lenga », p. 39-53.
1997, n°31 : « Enseignement du lexique » , p. 3- 16.
1999, n°34 : « Systématisation et pragmatisme dans l’enseignement de l’occitan », p. 12-16.
2003, n°40 : « Activitats en classa d’occitan », p. 3-19.
2005, n°43 : « Des contes en classe d’occitan », p. 70-75.

25 Joseph-Maria Artigal « Quelques considérations sur l’acquisition d’une nouvelle langue ». Lenga e País d’oc, n°23, p.27-44.

La princessa Valentina e autres contes / La princesse Valentine et autres contes, 6 contes, traduction de Claire Torreilles, préface de Philippe Martel, Montpellier, CRDP, 2007. 191 p. Illustrations de Maevi Colomina. Avec CD audio de l’intégralité des contes en occitan.

Lo grand secrèt de las bèstias e autres contes / Le grand secret des bêtes et autres contes, 7 contes, traduction et préface de Claire Torreilles, Montpellier CRDP, 2011. 135 p. Illustrations de Maevi Colomina. Avec un CD audio de l’intégralité des contes en occitan.

Contes a rebors, 5 contes, traduction de Jaumeta Caussade, IEO, 2018. 98 p. Illustration de couverture de Sybille Delacroix.

Illustrations de Maevi Colomina