Ce dossier est issu d'une journée d'étude que nous avions consacrée à Florian Vernet à l'Université de Montpellier Paul-Valéry le 20 octobre 2023 : Florian Vernet, grammaire, littérature, pédagogie, une transmission polymorphe de l'occitan. Un moment d'échange qui fut aussi celui d’une reconnaissance d'un parcours de vie consacré à l’occitan, une journée de réflexions sur les multiples voies de la transmission de la langue. En présence de l'auteur et chercheur lui-même, les discussions qui ont suivi les communications ont été riches, et nous sommes repartis avec l'envie de prolonger le moment, d'aller plus loin « sensa relambi » [sans répit], comme l'écrivait Georges Reboul.
Les nombreuses activités et les diverses expériences de Florian Vernet dans des domaines très variés tels que la linguistique, la didactique, la grammaire, la pédagogie et, bien sûr, la littérature, mériteraient chacune plus d'un dossier et plus d'une publication... Nous avons décidé de faire un choix et de nous concentrer sur l'aspect littéraire pour ce numéro 7 de la revue Plumas. Vous trouverez ici des articles qui, d'une part, sont le reflet des communications données lors de cette journée d'octobre 2023 et qui, d'autre part, sont le résultat de travaux initiés à la suite de la publication d'un appel à contributions. Nous avons essayé de constituer un dossier qui mette en évidence la cohérence et la richesse de l'écriture de Florian Vernet et sa place originale dans la création occitane contemporaine.
Nous voulons mettre l'accent sur l'adjectif « contemporain », qui correspond parfaitement à une œuvre construite au fil du temps, ancrée dans sa langue et attentive au monde actuel. Une œuvre pour vivre en occitan aujourd'hui. Nous voulons également mettre l'accent sur la prose occitane, un genre qui confronte les réalités d'un monde en constante transformation et qui illustre souvent la situation complexe de l'occitan dans la société. Florian Vernet a relevé plus d'un défi (et continue de le faire !) en œuvrant, chaque jour, pour une langue vivante, capable d'exprimer notre monde. La nécessité d’une prose occitane moderne a été au cœur de la réflexion occitaniste du XXe siècle. Florian Vernet le démontre à travers son travail d'écrivain, mais aussi à travers sa réflexion sur ces questions de genre littéraire, souvent exprimée dans ses interventions en tant que pédagogue ou dans son soutien à l'édition en tant que conseiller et correcteur.
Après 1945, grâce notamment à l'œuvre littéraire et à la réflexion critique de Robert Lafont, une littérature du « comme si » s'est développée. Comme si l'occitan était, dans l'espace d’oc, « une langue de pleine chair », selon les propres termes de Lafont dans son récit autobiographique Li Camins de la saba, c'est-à-dire la langue d'expression de toute la société concernée. Ce dispositif visait à permettre l'émergence d'un roman occitan moderne et pleinement émancipé. Vernet, qui appartient à une autre génération, a fait sienne cette approche consistant à utiliser la langue à l’encontre de la réalité sociolinguistique, dans des contextes contemporains, tels que les banlieues urbaines, par exemple. Mais l'hispaniste qu'il est, également grand lecteur de littérature contemporaine, a cherché une autre voie, à sa manière (nous nous référons ici à la lecture de l'une de ses quatre œuvres inédites, à la fin du dossier : « Mesa al punt intra muros »). Une voie peut-être plus inspirée par le réalisme magique de l'Amérique latine (dont le représentant le plus célèbre est Gabriel García Márquez), par les univers étranges et captivants des nouvelles de Jorge Luis Borges ou encore par les romans japonais récents (Haruki Murakami entre autres) que par la littérature occitane ou française. Les articles rassemblés ici nous aident à saisir la force de l'œuvre et l'originalité d'une voix qui, derrière un rire aux aspects carnavalesques, aborde sans détour les dérives de la société capitaliste.
Ce dossier s'ouvre sur trois articles qui mettent en évidence la cohérence d'une œuvre établie sur une longue période. De Qualques nòvas d'endacòm mai à Anamorfòsis, Evelyne Faïsse (auteure d'une importante thèse, La nouvelle d'expression occitane depuis 1970, entre réalisme et fantastique, soutenue en 2010 et dûment supervisée par Florian Vernet lui-même) présente un parcours de « cinquante ans d'écriture » en montrant comment l'écriture de Vernet a su évoluer et se transformer, tout en s’inscrivant dans une continuité. Matthieu Poitavin propose une étude approfondie des références cinématographiques qui ont nourri l'œuvre, au fil des années et au rythme des changements esthétiques et technologiques qui ont marqué l'histoire du grand écran. La relation étroite entre l'écriture et le cinéma permet ici de mieux comprendre le développement d'une œuvre, des années 1970 à nos jours. Sylvan Chabaud, quant à lui, s'intéresse à l'influence que peut exercer la littérature baroque : comment les recherches menées par Vernet sur les auteurs de cette période marquent-elles sa création littéraire ? C'est finalement à la croisée des chemins entre le chercheur et l'écrivain, à l’instar de Lafont, Gardy, et d’autres, qu'une œuvre originale voit le jour ; une œuvre mêlant une inspiration profondément contemporaine aux motifs et aux styles d'écriture de l'époque baroque révélés par la critique.
Suivent ensuite quatre articles qui proposent d'analyser plus en détail les recueils et les romans. Marie-Jeanne Verny revient à la source et montre comment le premier ouvrage, Qualques nòvas d'endacòm mai, contient déjà tous les éléments qui rendront plus tard l'écriture de Vernet unique. Hétérogénéité des genres, diversité des tonalités et variété des modes narratifs : dès le début, tout ce qui caractérisera l'œuvre future est déjà en germe dans un recueil qui a profondément marqué son époque. Franck Bardou s'attarde sur le deuxième recueil, Miraus escurs, proposant une étude de six nouvelles en particulier qui révèlent toute la richesse de la prose vernetienne : il y montre comment l’auteur excelle dans l'art de la concision. Ce faisant, Bardou établit des comparaisons pertinentes avec le haïku japonais et des écrits occitans tels que Casaus perduts de Manciet ou Temps perduts de Labatut. Jean-Claude Forêt analyse ce qu'il appelle « la trilogie infernale de Florian Vernet », à savoir les romans dystopiques J@rdinsdelasdelícias.com, La Nau dels fòls et Cachavièlha psicomotritz. Dans son étude, Forêt souligne l'importance de l'humour noir et met en évidence la machine narrative déjantée qui tourne à plein régime au cœur de ces textes et les relie entre eux. Entre roman picaresque, science-fiction et comédie sociale, la trilogie ouvre de nouveaux horizons tout en explorant des thèmes déjà présents dans les nouvelles. Enfin, Sarah Laurent-Zurawczak développe une réflexion qui permet de se repérer dans le labyrinthe du dernier recueil, Anamorfòsis. Une réflexion en trois parties qui étudie la représentation des relations amoureuses (amours complexes, voire impossibles), le thème de l'absurdité de la vie (une véritable vanité baroque) et la figure de l'écrivain lui-même dans sa quête créative.
Si Vernet est surtout connu comme prosateur (nouvelles et romans), il ne faut pas oublier les autres genres qu'il a explorés en parallèle, notamment le théâtre et la littérature dite « de jeunesse ». C'est pourquoi notre dossier comprend une section consacrée aux « multiples chemins » de son écriture. Vous trouverez tout d'abord un article de Sylvan Chabaud sur Tres pèças [Trois pièces], créées en 1977 à Toulon et aujourd'hui conservées au Cirdòc – Institut occitan de culture. Cette écriture dramatique est très intéressante et mérite d'être lue, mieux connue et étudiée, voire rejouée ? (Nous faisons ici appel aux troupes professionnelles !). Le théâtre de Vernet, lié au travail du Centre dramatique occitan d'André Neyton, est très ancré dans son époque (marquée par les luttes émancipatrices des années 1970). L’auteur preuve d'une réelle conscience de la mise en scène, du rythme dramatique et des effets théâtraux (en ce sens, il ne s'agit en aucun cas d'un théâtre de fauteuil). C'est, en fin de compte, une caractéristique de l'écriture de Florian Vernet que l'on retrouve, à un autre niveau, dans ses récits : le désir de proposer une narration qui se prête facilement à la parole active, à la « représentation » (par l'acteur ou le conteur). Claire Torreilles revient ainsi sur les contes destinés aux enfants et leur exploitation pédagogique concrète, soulignant une fois de plus l'importance de la transmission, non seulement des récits et du langage, mais surtout de la profonde liberté de « l'esprit d’enfance ». Dans l'annexe, nous trouvons des éléments didactiques qui seront d'une grande aide pour les enseignants qui souhaitent travailler en classe avec les contes de Vernet.
Le dossier est complété par une série de notes de lecture et de recensions qui permettent d'aborder sous un angle différent une œuvre aux multiples facettes. Sylvan Chabaud évoque le roman Metaf(r)ictions a Collisioncity, Miquèla Stenta souligne la particularité du roman de science-fiction 666, e avisa-te que soi pas Nostradamus, où l'auteur se révèle être un véritable « lanceur d'alerte ». Deux critiques plus anciennes (et nous remercions les auteurs et éditeurs de ces textes d'avoir accepté leur republication numérique) éclairent les premiers travaux, avec le regard fin et amical de René Merle, compagnon de route de Florian Vernet en Provence, et la lecture personnelle et précise d'un autre écrivain, Jean-Claude Serres, contemporain de l'auteur, dont l'œuvre des années 1980, qu'il s'agisse du roman Enlòc (A Tots, 1988) ou du recueil de nouvelles Masquestas e mariòtas (A Tots, 1985), montre une grande affinité avec Vernet. Nous ajoutons une critique de Jean Eygun sur le Petit lexique du provençal à l'époque baroque, qui fait écho à la réflexion sur les liens avec le monde baroque que l'on retrouve dans plusieurs articles du dossier.
Françoise Bancarel, Evelyne Faïsse et Marie-Jeanne Verny ont compilé une bibliographie organisée par genre, rassemblant l'ensemble des œuvres publiées, les pièces inédites et diverses publications éparpillées dans des revues sur plus de cinquante ans. Il s'agit d'un document précieux pour les recherches futures, un ouvrage qui faisait cruellement défaut pour appréhender, dans toute son ampleur, l'immensité de l'œuvre de Vernet.
Pour conclure, la parole est donnée à Florian Vernet lui-même, qui nous présente quatre textes inédits, quatre miroirs déformés et déformants... Deux récits qui jouent avec les frontières entre autobiographie, essai et fiction, suivis de deux nouvelles qui testent les limites du genre policier, mêlant burlesque, humour caustique et critique sociale. De quoi nourrir encore longtemps la réflexion, sur une œuvre qui continue de s'écrire...
