Un colloque
Ce deuxième numéro de la revue Plumas propose un dossier sur l’écriture de l’enfermement qui réunit et complète les articles issus d’un colloque organisé par le laboratoire ReSO de l’Université Paul-Valéry, Montpellier III, et le CIRDOC – Institut occitan de cultura, les 28 et 29 janvier 2021 : « la littérature carcérale à travers les siècles et les langues ».
Ce colloque a été reporté à deux reprises, percuté de plein fouet par une crise sanitaire qui nous a réduit, concrètement, au confinement. Il est entré en résonance, de façon tout à fait inattendue, avec la triste réalité de la pandémie, du couvre-feu et des restrictions ; réalité qui fait écho, toutes proportions gardées, à des situations déjà vécues, en d’autres temps, d’autres lieux dont les différents travaux de recherche ici rassemblés témoignent.
Louis Bellaud
Un auteur de la période baroque occitane et son œuvre ont servi de point d’ancrage pour ce projet : il s’agit de Louis Bellaud, un sonnetiste provençal qui, comme nombre de ses contemporains, a fait l’expérience de la privation de liberté dans une tour de la ville de Moulins et dans les cellules du Palais Comtal d’Aix-en-Provence. La thématique carcérale est au cœur de son écriture, même lorsqu’elle semble s’en détacher, s’en éloigner, pour dire la soif de vivre libre, entouré d’amis, dans une Provence de désirs et de fêtes populaires.
Le CIRDOC - Institut occitan de cultura conserve l’un des exemplaires de ses Obros et Rimos (Œuvres et rimes), éditées en 1595. Un ouvrage précieux puisqu’il s’agit du premier livre imprimé à Marseille. Récemment, le CIRDOC, grâce au travail de Blandine Delhaye (responsable du département patrimoine écrit), a numérisé le texte et l’a mis à disposition du public via le lien suivant : https://www.occitanica.eu/items/show/109. Dans le cadre du projet de ce colloque, et en partenariat avec la bibliothèque du Musée Paul Arbaud d’Aix-en-Provence qui possède deux rares exemplaires du grand poème de la prison de Bellaud, Le Don-Don Infernal, ce travail a pu être complété. Désormais, l’ensemble de l’œuvre originale bellaudine est disponible en ligne, notamment les deux éditions du Don-Don, celle de 1588 : https://www.occitanica.eu/items/show/21963
et celle de 1602 : https://www.occitanica.eu/items/show/22005.
Enfin, pour couronner le tout, Le triomphe du Berlan de l’aixois Jacques Perrache (recueil dans lequel Bellaud apparaît imprimé pour la première fois avec un poème liminaire, aux côtés de Malherbe) est aussi accessible : https://www.occitanica.eu/items/show/55726.
En lien et en cohérence avec la thématique du colloque, un site internet entièrement dédié à Louis Bellaud et à son œuvre a été réalisé. Il est le résultat d’un travail commun entre les équipes du CIRDOC – Institut occitan de cultura et des chercheurs en domaine occitan du laboratoire ReSO, au sein d’un vaste projet d’expositions virtuelles sur le portail Occitanica : https://expo.occitanica.eu/bellaud_de_la_bellaudiere/.
Dire et briser l’enfermement
Nous tenions à prolonger ces réflexions dans un mouvement plus large. Partir de cet auteur occitan pour développer une série d’échanges autour de la littérature carcérale nous a paru être un bon moyen d’insister sur les résonances universelles d’une telle œuvre. Cette démarche a permis de rompre les murs, les possibles isolements et d’embrasser un champ d’études ouvert. C’est aussi l’un des objectifs de la revue Plumas : créer les conditions d’un dialogue fécond entre la littérature occitane et d’autres littératures, entre les siècles et les langues. Les participants au colloque ont donc proposé des travaux couvrant la période du XVIe siècle jusqu’à nos jours, dans une démarche interdisciplinaire (entre littérature, histoire et analyse du discours), abordant des œuvres, des situations, des territoires et des témoignages variés. Le présent dossier rassemble des articles issus de ces communications ainsi que des contributions postérieures questionnant le rapport entre enfermement et création littéraire. Les auteurs de langue d’oc y occupent une place centrale et le souvenir de Bellaud apparaît très souvent, en filigrane, à travers les époques, telle une marque fugace mais indélébile.
Prisons et enfermements d’Ancien Régime
La première partie du dossier se concentre sur la période moderne. Elle s’ouvre sur l’œuvre de Bellaud, d’abord avec une réflexion menée par Sylvan Chabaud sur le Don-Don Infernal en tant que poème de l’expérience physique carcérale, ensuite avec un article de Marie-Jeanne Verny qui souligne l’ambivalence des divers espaces clos présents dans les Obros et Rimos, entre souffrance carcérale et rêve arcadique. La figure de Bellaud est toujours présente, elle émerge dans la lecture précise que Philippe Martel propose d’une œuvre provençale méconnue : La Souffranço et la miseri dei fourçats que soun en galèro, témoignage étonnant des conditions de vie des condamnés aux galères royales. Diverses formes d’enfermements et d’entraves à la liberté sont donc abordées. Ainsi, Catherine Kirkby nous emmène-t-elle sur les traces d’Arcangela Tarabotti, femme de lettres italienne prisonnière du couvent de Sant'Anna in Castello dans la Venise du XVIIe siècle. Jean-Michel Delolme, quant à lui, s’intéresse au témoignage de Servando Teresa de Mier, le dernier prisonnier de l’Inquisition espagnole qui a inspiré l’auteur cubain contemporain Reinaldo Arenas.
Les camps et les cellules contemporaines
Un second volet de notre dossier est consacré à la période contemporaine, notamment aux camps et enfermements liés aux années troublées de la seconde guerre mondiale. Une époque qui a vu naître toute une génération d’écrivains occitans, ces voix d’oc résonnaient d’ailleurs au centre du dossier dédié à la collection Messatges du numéro précédent. Nous en retrouvons quelques-unes ici, notamment grâce à Claire Torreilles qui signe un article sur le Hiu tibat de Pierre Bec (un roman sur la souffrance de l’exil et la découverte d’une fraternité européenne) et propose une lecture du roman L’Enclaus de Robert Lafont. Joëlle Ginestet s’attache à décrire le parcours de Jean Cassou qui, depuis les diverses prisons où le régime de Vichy l’a condamné, retrouve la forme poétique du sonnet si chère à Bellaud… Yan Lespoux exhume les écrits « de et sur Dachau » du militant occitaniste Pierre-Louis Berthaud (qui fut un temps, tout comme Bellaud, incarcéré à Moulins…), montrant l’urgence du témoignage, la volonté de dire l’inimaginable.
Au-delà de l’écrit occitan et des figures historiques de l’occitanisme, le dossier s’élargit avec les textes de prisonniers que Valentina Gabriela Hohotā a recueilli à la Maison d’Arrêt de Dijon, au Centre de Détention de Joux la Ville et à la Prison de Haute Sécurité de Craiova (Roumanie). Textes variés, vers dérobés, traces infimes d’une humanité qui tente de traverser les murs, cette fragilité poétique se retrouve dans l’étude approfondie que Cécile Tarjot mène sur les poèmes de Guantánamo réunis dans l’ouvrage Poems from Guantánamo : The Detainees Speak publié par l’avocat Mark Falkoff en 2007. Enfin, Serdar Ay questionne la possibilité d’une littérature kurde en Turquie et met en lumière quelques grandes voix d’écrivains ayant subi l’incarcération, parfois la torture. Confronté à la répression, l’espace kurde en Turquie devient un véritable « univers carcéral » dont le poète se libère en réinvestissant sa langue « enchaînée ».
À la suite du dossier, on retrouvera l’actualité des revues littéraires occitanes (ÒC, Reclams, Gai Saber) et de l’édition littéraire d’oc, en partenariat avec La Basa du CIRDOC et grâce à la fidèle collaboration de Françoise Bancarel. Le numéro suivant, prévu pour la fin de l’année 2022, est d’ores et déjà en cours de réalisation : il sera dédié à la seconde génération de la collection Messatges et complètera donc le numéro 1. Nous vous invitons à consulter les appels à contribution en ligne sur le site de la revue : https://plumas.occitanica.eu/374, vos propositions d’articles, comme de coordination de dossiers seront les bienvenues.